Le sujet de la fin de vie est toujours autant d’actualité au fil des années. Il est même une priorité nationale puisqu’il fait partie du programme du second quinquennat du président Macron. Parmi les mesures proposées par le chef de l’Etat, celle d’un projet de consultation citoyenne, afin répondre aux questions qui se posent sur la fin de vie et de « ne céder à aucun raccourci » face à des situations « humaines et déontologiques irréductibles ».
En effet, face à une mort certaine, chaque malade et son entourage est confronté à des questions existentielles auxquelles la loi « ne peut ni ne doit répondre ». Telle est la position partagée par les experts présents à cette table ronde : Sarah Dauchy, psychiatre et présidente du Centre national des soins palliatifs et de l’accompagnement de fin de vie, Claude Evin, avocat et ancien ministre de la Santé, Nathalie Ganier-Raymond et Delphine Jaafar, avocates, ainsi que Damien Le Guay, philosophe, essayiste et président du Comité national d’éthique du funéraire.
Une législation insuffisamment suivie d’effets
Comme l’ont rappelé les intervenants, le législateur tente depuis plus de vingt ans de garantir à chacun les meilleures conditions pour traverser une fin de vie douloureuse. C’est ainsi que les lois Kouchner de 1999, Leonetti de 2005 et Claeys-Leonetti de 2016 ont encadré les soins palliatifs, en réponse à une demande croissance de la population de légaliser l’euthanasie ou l’assistance au suicide, comme c’est le cas dans certains pays européens.
La loi a établi la liberté du patient, le refus de l’acharnement thérapeutique ainsi que l’égalité des conditions d’accès aux soins palliatifs. Elle a également reconnu deux principes : pas d’obstination déraisonnable et pas de maintien artificiel en vie si le patient a exprimé le contraire dans ses directives anticipées ou s’il l’a notifié à la personne de confiance. Si le patient n’est plus en capacité d’exprimer son avis, la loi a prévu une procédure collégiale, réunissant tous les professionnels exerçant autour du patient pour apprécier la situation au regard des possibles directives anticipées qu’il aurait données, en consultant la personne de confiance préalablement désignée etc.
La loi a également encadré la possibilité de recourir à une sédation profonde et continue « provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès, associée à une analgésie et à l'arrêt de l'ensemble des traitements de maintien en vie » (article 37-3 du code de déontologie).
Mais cette pratique, qui peut accélérer le décès du patient, nécessite un accompagnement du malade, de ses proches, et également du médecin. Or, le manque de centres de soins palliatifs et de mise en œuvre de ces derniers rend cet accompagnement, pourtant prévu par la loi, insuffisant et provoque chez les patients une insatisfaction face à la mort. En effet, selon la Sécurité sociale, plus de 300 000 personnes ont besoin de recevoir des soins palliatifs chaque année, alors que seules 100 000 personnes sont prises en charge. En outre, vingt-six départements métropolitains ne comptent aucuns services de soins palliatifs sur leur territoire. Et bien que le Gouvernement ait lancé en septembre 2021 un plan national de 171 millions d’euros pour 2021-2024 pour le développement des soins palliatifs et l’accompagnement de la fin de vie, en unité de soins palliatifs comme en hospitalisation à domicile, ces moyens sont trop insuffisants.
L’avocat, un lien objectif entre le malade et son médecin
La parole des avocats a toute sa place dans le débat sur l’accompagnement de la fin de vie, car il évite un débat exclusif entre le malade et son médecin et informe les parties sur l’arsenal juridique applicable. Comme l’ont rappelé les intervenants, « la loi ne répond pas au problème, elle apporte un cadre ». Ces derniers sont d’ailleurs unanimes sur le fait que les citoyens ont globalement une méconnaissance du droit actuel en la matière. L’avocat a aussi pour rôle de rappeler des notions essentielles comme celle du consentement du malade, de même que le respect par le médecin de la volonté de son patient.
Face à des discours trop souvent marqués par des expériences personnelles ou des positions idéologiques, l’avocat peut objectiver de nombreux points et défendre les intérêts du malade, selon ses valeurs et ses attentes. Il revient au malade de définir ce qu’il entend par l’obstination déraisonnable à laquelle il s’opposerait et au médecin de ne pas engager des traitements qui seraient constitutifs d’une obstination déraisonnable ou « futiles ». En effet, comme l’a souligné Sarah Dauchy, les médecins considèrent trop souvent qu’un traitement qui améliore la survie est un standard car, implicitement, la survie est l’objectif à atteindre. Or, elle ne l’est pas forcément pour le patient.
« Les avocats portent la voix de la singularité, de la nuance et de la pensée complexe », a ajouté Nathalie Ganier-Raymond. Il doit alors faire preuve de vigilance et d’intelligence lorsqu’il est confronté à ces problématiques, aider son client à avancer dans ses réflexions et lui offrir ce temps de précieux, pour se positionner sur ce sujet si délicat. Pour l’avocate, sa profession devrait également se renseigner davantage sur ces questions, afin d’accompagner au mieux leurs clients.
Le malade, un sujet de droit à part
Chaque citoyen est un sujet de droit autonome, qui peut exprimer son consentement. C’est ce qu’il fait lorsqu’il exprime ses directives anticipées. Or, une fois malade, les souffrances, l’inquiétude et l’incertitude liées à son état peuvent impacter son état d’esprit et son consentement. Dès lors, comme l’a soulevé Damien Le Guay, peut-on se fier entièrement aux directives anticipées ? Et que se passerait-il si une fois confrontée à la réalité de son état de santé, le malade refuse que soient appliquées ses propres directives ?
Comme le résume très justement le philosophe, la loi donne des droits au malade, mais leur exercice est complexe et fait appel à des éléments où l’affect et l’émotionnel entrent nécessairement en compte. Il préconise alors davantage de construire un lien d’alliance et de confiance entre le malade et son médecin, un dialogue permanent afin d’évaluer constamment l’état d’esprit du patient. Le médecin ne doit d’ailleurs pas être seul à gérer cette situation, et c’est là que le rôle de l’avocat est important. Ce dernier ne se limite pas à vérifier la bonne application des textes de lois, il conseille avec humilité et conscience de la complexité de la situation, en se détachant presque de la rigidité de la loi. « Le droit doit savoir rester en dehors de la chambre », estime le philosophe, afin de ne pas s’immiscer dans des considérations personnelles, idéologiques, spirituelles etc.
Selon lui, plus la loi intervient en détail dans la question de la fin de vie, plus elle peut créer un sentiment de défiance entre le malade et le médecin. Tel est le risque, par exemple, lorsque « le patient atteint d’une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme présente une souffrance réfractaire aux traitements » (art. L. 1110-5-2 du CSP) incitant son médecin à le placer sous sédation profonde et continue jusqu’à son décès. Mais comment qualifier cette souffrance réfractaire ? Comment décider qu’une souffrance est tellement insupportable pour le malade qu’elle légitime le recours à cette sédation ? La loi ne peut le définir objectivement tout comme elle ne peut encadrer une situation où il ne s’agit plus de vie ou de mort mais en réalité d’une mort moins douloureuse qu’une autre. Comme l’a légitiment affirmé le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) dans son avis n° 121, « le strict respect de la loi ne doit pas conduire à des situations plus douloureuses et plus violentes que son non-respect ».