Pour cette « journée exceptionnelle de retrouvailles après une parenthèse de plus de 18 mois avec nos interlocuteurs », le Conseil national a choisi le thème du « greffier entrepreneur de confiance du service public ». En effet, pour Sophie Jonval, sa présidente, si le statut d’officier public et ministériel professionnel libéral « suscite chez certains des interrogations, voire de la méfiance », il s’avère être en réalité « une approche moderne dans la gestion des services publics ». C’est « justement cet équilibre public/privé qui donne à la profession, sous le contrôle de l’Etat, une agilité et une capacité lui permettant d’assurer à moindre coût pour l’usager et sans peser sur les finances publiques les délégations qui lui sont confiées ».
Face à un auditoire d’institutionnels notamment composé du ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, Sophie Jonval a estimé que « les mesures gouvernementales mises en œuvre depuis plus de 18 mois et la mobilisation des greffiers aux côtés des acteurs de la justice commerciale ont sans aucun doute permis d’éviter le pire et de répondre au plus près au besoin des entreprises en difficultés ». En 2020, les 141 greffes des tribunaux de commerce et leurs 2000 collaborateurs ont traité plus de 3 millions de formalités, dont près de 800 000 immatriculations, et procédé au dépôt de plus d’1,3 million d’actes de société.
Evoquant ensuite les différentes évolutions récemment intégrées par la profession (assujettissement aux obligations LCB-FT, création de sept offices de greffier en outre-mer, action en matière numérique…), ainsi que ses contributions à certaines réformes (dont celle relative à la déontologie), Sophie Jonval a estimé que la profession s’était ouverte sur l’extérieur sous sa mandature.
« Merci à votre cabinet et votre administration pour la qualité de nos échanges, toujours constructifs et d’une grande technicité juridique », a poursuivi la présidente du Conseil national, à l’intention du garde des Sceaux. « Monsieur le ministre, nous ne sommes pas assis sur nos acquis, mais la profession et les jeunes générations qui incarnent notre avenir sont parfois interrogatifs, voire inquiets des perspectives de notre métier. La loi Croissance a prévu une révision de nos tarifs tous les deux ans, si nous avons toujours considéré que ces périodicités étaient trop courtes, les baisses aveugles et systématiques des grilles tarifaires déconnectées de la réalité des investissements de notre profession ne sont pas comprises. Il serait plus opportun de réfléchir collectivement à l’établissement d’une feuille de route commune, permettant de planifier à moyen et long terme les actions à entreprendre, les moyens à leur consacrer, car nous avons d’autres projets pour poursuivre la modernisation justice commerciale », a-t-elle relevé.
Sophie Jonval de conclure : « Monsieur le ministre, je suis de nature résolument optimiste, je veux croire que l’Etat, qui doit déjà faire face à de nombreuses crises de tout ordre, saura reconnaitre le greffier du tribunal de commerce comme un entrepreneur de confiance du service public et un allié sur lequel il peut compter en toutes circonstances. Nous avons traversé les siècles, démontrant notre utilité et notre pertinence. Je suis convaincue que notre profession représente une excellente opportunité pour l’Etat de mener à bien ses projets, dans l’intérêt des citoyens ».
L’engagement de la profession reconnu
« Vous êtes des figures familières, incontournables, indispensables de nos juridictions, vous êtes également des officiers publics et ministériels qui occupent des places particulières, à la fois désignés par notre ministère pour exercer dans les tribunaux, tout en étant chefs d’entreprise. Cette année encore vous avez continué à nous démontrer votre efficacité et votre engagement pour le service public », lui a ensuite répondu le ministre de la Justice, félicitant la profession pour sa « grande réactivité » au plus fort de la crise sanitaire.
« Grâce à votre dynamisme, à votre sens aigu du service public, vous avez activement contribué à la continuité de la justice commerciale pendant la pandémie, notamment en équipant très rapidement les juridictions pour permettre des audiences par visioconférence. Cette mesure, mais aussi le développement des procédures numériques et le renforcement du service Infogreffe, ont ainsi permis au justiciable de continuer à être accompagné dans cette période si difficile », a-t-il poursuivi, avant de louer le « dévouement » de la profession au service des entreprises et notamment celles en difficultés.
Et le ministre de poursuivre sur cette lancée : « Votre profession a contribué à l’ensemble des travaux menés par le Gouvernement pour soutenir les entreprises, à la fois dans le contexte particulier de la crise sanitaire avec les ordonnances covid et le plan d’accompagnement des entreprises en sortie de crise, mais aussi sur le plus long terme. Je sais que vous serez prêts pour la mise en œuvre des nombreuses réformes qui vont entrer en vigueur au mois d’octobre prochain, notamment l’ordonnance du 23 septembre dernier relative à la transposition de la directive européenne “restructuration et solvabilité“. Je pense également à la nouvelle procédure de traitement de sortie de crise, qui doit permettre à des entreprises employant moins de 20 salariés et ayant un passif inférieur à trois millions d’euros de trouver une solution à leurs difficultés ».
Un nouveau registre
Le garde des Sceaux n’a pas non plus manqué d’évoquer, à l’instar de Sophie Jonval, « l’importante » réforme du droit des sûretés issue de l’ordonnance du 15 septembre dernier. Elle prévoit notamment la création d’un nouveau registre des sûretés mobilières. « Ce registre sera confié aux greffiers des tribunaux de commerce et sa plus-value est importante », a affirmé Eric Dupond-Moretti. « Il concerne presque une vingtaine d’inscriptions de suretés mobilières différentes, permettra une dématérialisation totale des démarches des entreprises dès le stade de l’inscription des suretés, et facilitera l’accès à la donnée en permettant des consultations gratuites sur le site national mis en place par la profession ».
Ce registre est aussi un « vecteur d’allègement et de simplification des formalités attendu par les professionnels », offrant une sécurité juridique et une transparence accrues. Tous ces éléments constituent « autant de facteurs de confiance dans la vie économique ».
Impact de l’open data
« Le Gouvernement a souhaité assurer la pleine mise à disposition des informations et données publiques, et ce, à titre gratuit », a rappelé le ministre, ajoutant que cela avait commencé à impacter la profession et une partie de ses modalités de financement. « Je comprends les craintes que le développement de l’open data peut faire naître. Le ministère est donc disponible pour vous accompagner dans cette évolution, dans le cadre d’une relation où la confiance et la transparence seront assurées », a-t-il poursuivi.
Éric Dupond-Moretti a aussi salué le travail « colossal » accompli par les greffiers des tribunaux de commerce en outre-mer. Le Gouvernement a en effet décidé, en 2019, de créer de nouveaux offices dans les tribunaux mixtes de commerce de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique, de Mayotte et de la Réunion. « La situation dans ces chefs-lieux était alarmante, en raison des stocks et des délais importants. Vous avez été désignés afin de permettre une redynamisation de ces économies locales et il faut le souligner aujourd’hui : c’est une réussite que l’on vous doit », a confié le ministre de la Justice, ajoutant que l’Etat renouvèlerait sa confiance dans la profession pour le transfert de la tenue du registre du commerce et des sociétés polynésien.
« Vous avez accepté de porter une grande responsabilité dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, responsabilité que vous avez acquise grâce à votre statut de fin connaisseur du tissu économique détenteur d’informations permettant de détecter rapidement les fraudes. Votre profession a ainsi initié depuis plusieurs années une dynamique permettant de faire des greffiers des tribunaux de commerce des acteurs clés dans ce domaine. Mieux, vous avez demandé à être assujettis aux dispositifs prévus par le Code monétaire et financier depuis février 2020, qui vient renforcer les mesures de transparence des personnes morales et l’identification des structures à risque, notamment sur la base de critères d’alerte développés par Tracfin. On ne peut que se réjouir des efforts entrepris par votre profession, qui devient ainsi une autorité de contrôle au sens du code. Déjà, les chiffres sont éloquents, 720 déclarations de soupçon en 2020, 465 en 2019 ; soit une augmentation de 55 % », a salué Éric Dupond-Moretti.
Reprenant à son compte les propos du directeur de Tracfin, le ministre a ensuite assuré que les greffiers des tribunaux de commerce étaient devenus, aux côtés des autorités en charge de la lutte contre la fraude, de véritables acteurs de ce combat. « Je vous encourage donc à poursuivre votre engagement, notamment au service de la transparence des personnes morales », a-t-il lancé.
La réforme du régime disciplinaire
Le garde des Sceaux aime à le rappeler, le professionnel du droit est la porte d’entrée des justiciables qui souhaitent accéder à l’institution judiciaire. Aussi, face aux constats posés dans le rapport de l’inspection générale de la justice en octobre 2020, il a paru nécessaire de réformer le régime disciplinaire des professions du droit. « C’est ce que je souhaite faire dans le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, dont les débat au Sénat viennent de se terminer (la nuit jeudi 30 septembre, N.D.L.R). Merci à la profession pour son implication et son réalisme, ainsi que pour les échanges fructueux qui nous ont permis d’écrire un texte moderne, clair, rendant plus efficace l’action de tous. C’est grâce à cette action conjuguée que le projet peut aujourd’hui être plus ambitieux. Il vise à rendre le droit plus accessible, en instaurant des codes de déontologie préparés par chaque profession. Il vise également à le rendre plus simple, en confiant le contrôle et la discipline des officiers publics et ministériels aux procureurs généraux, et en unifiant l’architecture juridictionnelle. Il vise à le rendre plus efficace, en créant un service d’enquête indépendant, en modernisant l’échelle des peines, en créant un échelon infradisciplinaire », a poursuivi le ministre, expliquant vouloir ouvrir la juridiction disciplinaire sur l’extérieur, en permettant aux plaignants de la saisir directement et en introduisant l’échevinage.
L’aide apportée par la profession, déjà précieuse, continuera à être sollicitée par la Chancellerie pour la rédaction des mesures d’application. « Je sais que les greffiers des tribunaux de commerce sauront se mobiliser pour assurer l’efficacité de la réforme », a assuré Eric Dupond-Moretti.
Concernant la réforme, cette fois, de la formation, le ministre a indiqué que le projet pourrait aboutir dans les prochains mois, et que la profession serait pleinement associée à la rédaction des textes.
Evoquant enfin l’arrivée à échéance du mandat de Sophie Jonval, le garde des Sceaux a souhaité la remercier pour la qualité des échanges instaurés entre le Conseil national et les services du ministère. « Je salue votre engagement au service de votre profession, votre franchise, votre efficacité et votre sens du service public. Vous êtes, en quelques sortes, l’illustration même du thème que vous avez souhaité donner à votre congrès », a-t-il conclu.