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Élections au Conseil de l'Ordre du barreau de Paris : Rencontre avec Matthieu Boissavy

Avocat aux barreaux de Paris et de New York, Matthieu Boissavy brigue une place de membre au Conseil de l'Ordre. Passionné par son métier, il s'exprime sur l'actualité mais aussi sur la faculté d'adaptation des avocats face aux évolutions de la profession.
Élections au Conseil de l'Ordre du barreau de Paris : Rencontre avec Matthieu Boissavy

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Affiches Parisiennes : Vous faites partie du cercle des anciens secrétaires de la Conférence et vous êtes candidat aux élections du Conseil de l’Ordre du barreau de Paris des 15 et 16 décembre prochains. Pouvez-vous vous présenter ?

Matthieu Boissavy : J’ai 22 ans de barreau, 47 ans et je suis toujours passionné par mon métier d’avocat comme au premier jour. Avec un peu moins d’innocence tout de même mais certainement avec l’expérience qui accompagne la pratique assidue des dossiers, des confrères et des clients et, je l’espère, mais c’est aux autres d’en juger, peut-être un peu plus de sagesse. J’exerce le conseil et le contentieux principalement dans le secteur des médias dans un cabinet que j’ai créé il y a 15 ans, en Selarl (Société d’exercice libéral à responsabilité limitée) avec une collaboratrice et en association de moyens avec le cabinet Lartigue-Tournois-Associés.

Une expérience américaine que j’ai pu réaliser grâce au cabinet Linklaters m’a permis de connaître le droit anglo-saxon et de m’inscrire au barreau de New York, ce qui m’a beaucoup aidé pour développer des activités avec des clients étrangers. Vous évoquez la Conférence. Elle fut un amour de jeunesse que j’ai aimé passionnément à 26 ans. Lorsque je la croise maintenant au Palais, je la regarde toujours avec tendresse et nostalgie. La Conférence et son concours m’ont beaucoup appris. La rhétorique, la défense pénale d’urgence, les usages du Palais, une pratique vivante de la confraternité. Je la vois rayonner maintenant au-delà des murs du Palais, par exemple dans les universités, grâce à des confrères talentueux qui transmettent aux jeunes étudiants l’amour de notre langue et de la controverse. Je pense ici à mes confrères Anne-Sophie Laguens, Georges Sauveur, Bertrand Perier, Antoine Vey et à d’autres, pardon de ne pas tous les citer. En résumé, sur mon expérience professionnelle, je peux dire que j’ai une bonne connaissance des différentes formes d’exercice de notre profession et des préoccupations des confrères. J’ai travaillé dans des structures de formes diverses, de deux à plusieurs centaines d’avocats. Je peux parler avec des confrères de « barreaux » différents et parfois même les comprendre ! Les avocats d’affaire, du pénal, des modes alternatifs de règlement des litiges, de l’international, du social, des particuliers, et même ceux du barreau contestataire et critique sur les institutions ordinales. Voilà deux ans que je suis plus activement les campagnes ordinales. Lors des dernières élections au bâtonnat j’ai soutenu David Gordon-Krief et Hubert Flichy. L’énergie de cette belle campagne, peut-être un peu longue tout de même, m’a enthousiasmé. Le parcours de ma consœur Véronique Lartigue, qui aurait pu être élue il y a deux ans, m’a également donné envie de m’impliquer davantage au sein de l’Ordre. Parallèlement à l’activité de mon cabinet, je me suis toujours investi dans la vie associative dans et hors du Palais. D’abord pour développer la médiation, au sein de l’AME, l’Association des médiateurs européens créée après que Martine Bourry d’Antin et le bâtonnier Dominique de la Garanderie ont lancé les premières formations à la médiation à la fin des années 1990, ensuite dans diverses associations telles que l’Association des juristes franco-britanniques, la FABA – French-American Bar Association – Droit & Procédure et récemment l’ACE, Avocats conseils d’entreprises. En dehors du Palais, j’ai été un membre actif de la Convention pour la VIe République et de sa commission Justice ainsi que de l’Association des conseils en affaires publiques où j’ai œuvré pour que les avocats puissent exercer l’activité de lobbyiste. Depuis 2007, je travaille avec l’association DJS Droits, Justice & Sécurités sur les questions plus générales. À cette occasion, j’ai rédigé plusieurs ouvrages sur la justice ; un premier en 2006 – Reconstruire la justice –, en collaboration avec le professeur de droit Thomas Clay, puis en 2012, un Manifeste pour la justice. Je me suis donc toujours intéressé aux moyens d’accès au droit et à la justice par l’avocat et je veux lancer ou accompagner des actions positives dans ce sens.

A.-P. : Ce thème est d’ailleurs d’actualité avec la réforme de l’aide juridictionnelle ?

M. B. : Ce qui se passe ces jours-ci avec le projet de réforme de l’aide juridictionnelle est important non seulement pour la profession mais surtout pour les justiciables. Il faut maintenir l’unité et la solidarité entre le barreau de Paris et les barreaux de banlieue et de province afin de parvenir à revaloriser l’aide juridictionnelle. Si on arrive à renforcer cette solidarité, si possible avec un soutien des magistrats et pourquoi pas des greffiers, on peut espérer aller loin dans les négociations avec le gouvernement. Les avocats en ont assez d’être taxés comme ils le sont, notamment par l’Urssaf – dont ils ne reçoivent rien en retour - et le RSI. Tous les avocats travaillent déjà pour quelques clients sans leur demander les honoraires qui leur seraient dus. Pour les plus démunis, il faut que la solidarité nationale soit plus importante. Je crois que tout le monde a pris conscience que le projet de la Chancellerie était dangereux et trompeur tant pour les avocats que pour les justiciables. Je veux rappeler quelques chiffres afin de mettre en perspective la réalité. On peut s’accorder sur le fait qu’un État doit d’abord satisfaire les besoins primaires de sa population en termes de sécurité, de justice, de santé et d’éducation. Or, quelle est la part du budget du ministère de la Justice dans le budget de l’État français ? 1,9 % ! Encore faut-il enlever de ce pourcentage plus de la moitié de ce budget qui est affecté à l’administration pénitentiaire. La réalité est que les tribunaux et l’aide juridictionnelle fonctionnent avec moins de 1 % du budget de l’État ! Comment s’étonner, au vu des besoins de nos concitoyens en termes de justice, que notre système judiciaire fonctionne mal ? Lorsque la Chancellerie dit que le système actuel de l’aide juridictionnelle ne peut plus continuer ainsi car il va imploser, il faut aussi savoir, que par choix politique, rien n’est fait pour qu’il n’implose pas. La réalité est qu’il faudrait, pour être conforme aux standards européens respectables, tripler le budget de l’aide juridictionnelle par une réaffectation des ressources de l’État. J’ai entendu le bâtonnier de Paris et notre confrère Xavier Autain évoquer des pistes intéressantes de financement de l’AJ par la création d’une Caisse nationale de l’accès au droit. Il faudrait explorer sérieusement ces pistes et que la Chancellerie passe plus de temps à trouver des solutions intelligentes avec eux et le CNB qu’à chercher à diviser la profession pour tenter faire taire des revendications légitimes. Cela ne sert à rien de faire bénéficier l’AJ à 100 000 personnes de plus si les avocats qui veulent traiter ces dossiers, avec compétence et diligence, ne peuvent plus s’en occuper sans mettre en péril l’existence de leurs cabinets. Rappelons enfin que sur les 24 euros de l’unité de valeur dont on parle, 20 % sont repris par l’État avec la TVA, 15 % sont aussi repris par l’État avec l’Urssaf, le reste sert à payer les autres charges sociales et charges fixes : il ne reste qu’environ 6 euros à l’avocat, avant l’impôt sur le revenu ! Cela n’est pas sérieux.

A.-P. : Les avocats ne doivent-ils pas évoluer, eux aussi ?

M. B. : Nous devons toujours évoluer et nous adapter pour mieux répondre aux besoins des personnes qui font appel à nous. En ce qui concerne l’AJ, il est vrai que plusieurs autres options sont proposées. Certains ont évoqué la création de structures dédiées, à l’instar des États-Unis où des « public defenders » sont regroupés dans des cabinets qui ne s’occupent que des personnes bénéficiaires de l’aide juridictionnelle. Si l’aide juridictionnelle n’est pas revalorisée, je pense qu’à terme, à Paris au moins, nous en arriverons là. Je le regretterais car le système perdrait en liberté de défense mais je ne vois pas comment le système peut encore tenir avec une défense de qualité sans volonté politique pour trouver des financements pour l’AJ acceptables pour les avocats. Certains pensent aussi que les cabinets d’affaires devraient prendre une part plus importante de la charge des dossiers d’AJ, notamment par le biais d’actions pro bono. Cela serait merveilleux mais je crains que cela ne reste résiduel par rapport aux besoins. Il y aurait également des efforts de coordination et de dématérialisation à faire par le tribunal pour faciliter le travail des avocats dans ces dossiers. Nous pourrions aussi davantage travailler avec des cliniques juridiques en coordination avec les universités et des étudiants en droit volontaires pour travailler aux côtés des avocats sur ces dossiers. Je pense notamment à l’initiative remarquable de mon confrère Benjamin Pitcho, également candidat au Conseil de l’Ordre, qui a créé une clinique juridique en Seine-Saint-Denis. C’est un exemple qui nous vient des États-Unis et je pense qu’il faut aussi s’en inspirer. Il y a enfin des mesures fiscales qui sont aussi envisageables pour favoriser le recours aux avocats par les particuliers qui ne bénéficient pas de l’aide juridictionnelle.

A.-P. : Quelle pourrait en être la teneur ?

M. B. : Depuis que je suis avocat, je mène un combat récurrent. Je suis toujours étonné et scandalisé par la discrimination qui existe sur la charge des honoraires entre les entreprises et les particuliers. Cette inégalité est flagrante aux prud’hommes, par exemple. Vous avez d’un côté l’entreprise qui peut récupérer la TVA et déduire les coûts de l’avocat de son chiffre d’affaires. Et de l’autre, le salarié qui supporte l’intégralité de la charge des honoraires, TVA comprise ; en cas de licenciement, un impôt sur le malheur, en quelque sorte. Dans le passé, j’ai créé avec Olivier Guilbaud et Philippe Le Gall – lui aussi excellent candidat au Conseil de l’Ordre –, une association baptisée « Le juste taux ». Elle avait pour objet de demander la déduction de la TVA des honoraires d’avocats pour les particuliers ou, à tout le moins, la réduction du taux à 5,5 %. Ce combat a été repris aujourd’hui par le barreau de Paris, mais nous sommes bloqués par des règles fiscales européennes trop contraignantes. En dépit de l’action énergique du bâtonnier Pierre-Olivier Sur et du vice-bâtonnier Laurent Martinet sur cette question, nous n’avons pas encore la force du lobby des restaurateurs… Au cours de cette campagne aux élections du Conseil de l’Ordre, j’ai rencontré Franck Boulin, un confrère fiscaliste du barreau de Paris,
ancien conseiller de l’Assemblée nationale. Ensemble, nous avons décidé de soutenir une mesure fiscale déjà proposée par les bâtonniers Christian Charrière-Bournazel et Christiane Féral-Schuhl, inspirée de celle qui s’applique aux services d’aide à la personne. Aujourd’hui, si vous faites appel à une garde d’enfants ou à une assistante ménagère, vous pouvez déduire jusqu’à 12 000 euros d’impôts par an. Nous demandons que cette mesure soit applicable aux honoraires d’avocats pour les particuliers, avec possibilité de déduire jusqu’à 50 % des honoraires, via le mécanisme de la réduction ou du crédit d’impôt, sous certaines conditions, bien entendu. Franck Boulin vient de préparer un amendement à la loi de finances pour 2016, avec un exposé des motifs tout à fait pertinent dont vous avez la primeur (
voir encadré ci-dessous). Nous allons l’adresser aux parlementaires afin de leur demander de l’adopter dans la discussion sur la loi de finances 2016. Je propose à tous les confrères du barreau de Paris de soutenir cette initiative, qui pourrait d’ailleurs être reprise à un niveau national, en écrivant dans ce sens aux parlementaires et au gouvernement.

Cet amendement résout beaucoup de problèmes, notamment celui de la TVA et du respect des règles fiscales européennes et il est favorable à l’activité de nos cabinets. Il concerne directement les classes moyennes, celles qui ne peuvent bénéficier de l’AJ mais qui n’ont pas non plus les moyens de payer nos honoraires. Les autorités ordinales, que nous avons bien sûr consultées, sont intéressées pour soutenir éventuellement cette proposition, même si, pour l’instant, elles concentrent leur action sur la réforme de l’aide juridictionnelle. Je pense cependant que cette action, dans les jours prochains, viendra renforcer la position du barreau de Paris et du CNB dans les négociations sur l’aide juridictionnelle avec le gouvernement. Si nos revendications légitimes sont présentées de manière complète, nous aurons une meilleure chance de voir augmenter enfin les ressources de l’État affectées pour l’accès au droit et à la justice par l’avocat.

A.-P. : Avez-vous d’autres thèmes de campagne ?

M. B. : Oui, je souhaite parler des actions à entreprendre pour rester un avocat indépendant dans le monde numérique et sécuritaire que nous connaissons maintenant. Sur la question du numérique, nous devons aider les confrères à moderniser leurs cabinets, notamment en prenant le virage du numérique afin de rester compétitifs. L’Ordre, en engageant des actions de mutualisation des ressources, peut grandement aider nos cabinets dans ce sens. Les actions du Barreau entrepreneurial, ainsi que celles de l’Incubateur sont exemplaires. Sur la question du rôle de l’avocat dans une société de plus en plus sécuritaire, je veux parler des actions pour mieux défendre notre rôle dans la protection des libertés publiques et des droits de la défense. Le combat porte essentiellement sur le respect du secret professionnel et sur l’indépendance de l’avocat. À ce titre, je soutiens la proposition qui a été faite par le bâtonnier élu, Frédéric Sicard, et notre confrère Aymard de la Ferté-Sénectère de voir l’indépendance de l’avocat inscrite en droit constitutionnel français. La société numérique et sécuritaire bouleverse l’équilibre des droits et des intérêts entre les citoyens et les organisations publiques ou privées. Les avocats doivent aider à ce que ces bouleversements trouvent un nouvel équilibre qui soit conforme au respect du droit, de l’humanisme et de la démocratie. Or, le rôle de l’avocat est menacé d’une part par un manque de considération de l’exécutif ou du législateur – les atteintes répétées au secret professionnel sont scandaleuses – et d’autre part par les braconniers du droit. Il ne faut pas s’étonner des actions et du succès de ces derniers puisqu’ils occupent une place que nous n’arrivons plus à occuper. La question de l’accès à l’avocat pour tous est donc aujourd’hui une vraie question. Comment faire pour que l’avocat soit toujours le lien privilégié vers le droit et la justice ? L’Ordre des avocats peut accomplir des actions importantes pour renforcer ce lien. Enfin, autre thème, la question de la parité et de la diversité. Beaucoup reste à faire dans notre profession et je trouve que l’on devrait mieux s’inspirer des mesures prises dans leurs cabinets ou des propositions soutenues par nos confrères Paul Lignières, Solène Roche-Brugère et Irène Arnaudeau.

A.-P. : Comment envisagez-vous le rôle du Conseil de l’Ordre à côté du bâtonnier ?

M. B. : Pour que les institutions ordinales fonctionnent bien, le Conseil de l’Ordre doit aider l’action du bâtonnier et de son vice-bâtonnier. Les 14 nouveaux membres qui seront élus les 15 et 16 décembre prochains prendront leurs fonctions en même temps que le bâtonnier Frédéric Sicard et le vice-bâtonnier Dominique Attias. Ces derniers ont fait, durant leur campagne, des propositions importantes pour l’avenir de notre barreau. Le Conseil de l’Ordre sera derrière eux dès le 1er janvier pour mettre en œuvre ce programme. Au vu des propositions faites et de toutes les personnalités concernées, je ne doute pas qu’il en sera autrement. Les membres du Conseil, au rôle à la fois modeste et important, force de proposition et de soutien, travaillent derrière le bâtonnier et le vice-bâtonnier pour que leurs propositions se concrétisent et que la machine de l’Ordre fonctionne au service des confrères. Un membre du Conseil doit pleinement assumer toutes les missions qui lui sont confiées par ses pairs et le bâtonnier.

A.-P. : Comment allez-vous répondre aux préoccupations des jeunes avocats ?

M. B. : Leurs préoccupations sont nombreuses et leurs situations sont diverses. Pendant cette campagne, je souhaite travailler avec Pierre Hoffman et Alexandra Perquin, les candidats de l’Union des jeunes avocats, avec qui je suis proche, pour mieux répondre aux préoccupations des jeunes confrères. Parmi ces jeunes avocats, beaucoup ne souhaitent pas forcément créer rapidement un cabinet ou même être associés. Il faudrait que le statut du collaborateur évolue sans connaître la rigidité du salariat qui n’a pas rencontré le succès escompté dans la profession. Du côté de la formation, je suis assez favorable à ce que nous ayons, à terme, un examen national permettant d’entrer dans la profession. Mais puisque le numerus clausus n’est pas souhaitable, c’est à la profession d’être proactive pour investir les nouveaux marchés et faire évoluer les cabinets de manière à pouvoir intégrer les jeunes avocats. Il est regrettable de faire croire aux étudiants que la profession peut les accueillir et de ne pas pouvoir le faire.

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