Publics ou privés, les acteurs du monde du droit sont résolument tournés vers le numérique depuis quelques années. Seuls ou collectivement, ils expérimentent, analysent et confrontent à la réalité du marché les nombreuses technologies qui en sont tirées. Les fondateurs du Village de la Legaltech Benjamin Jean, président d'OpenLaw, l'association du droit ouvert, et Christophe Albert, cofondateur du Village de la Justice, nous en disent plus sur cette quatrième édition du salon de l'innovation juridique.
Affiches Parisiennes : Quel objectif poursuit ce salon ?
Christophe Albert : Nous sommes à notre quatrième édition et le but du salon est de créer un espace interprofessionnel de coopération et de travail et pas que de formation et d'information, donc pas seulement à sens unique. Le projet, c'est vraiment la co-création. Au départ, cette interprofessionnalité était assez nouvelle, et 15 professions sont aujourd'hui représentées. A ma connaissance, il n'y a pas d'autre salon dans le droit où l'on peut s'adresser à autant de professions juridiques différentes.
Ça avance très bien car à l'origine nous avions entre 600 et 700 visiteurs, tandis que nous atteignons désormais les 3 600.
Cette année, le thème c'est “Humain + Technologie = 3”. L'idée est de dire que si on ne peut plus se passer de technologie, cette dernière ne va pas nous remplacer, et surtout pas en droit où l'expertise humaine est nécessaire. Nous défendons la thèse de la complémentarité et le concept du juriste augmenté. Les juristes veulent faire mieux, pas forcément être plus performant, mais mieux vivre leur travail grâce aux outils numériques.
Benjamin Jean : Ce salon est aussi un moyen de s'informer au regard des nouvelles attentes, en termes de savoir-être et savoir-faire, des professionnels du secteur, et surtout de faire de la co-création.
D'ailleurs, ce qui est intéressant c'est la présence des Pouvoirs publics et des projets publics développés en concertation avec les acteurs présents au salon. Ce matin, lors de la plénière d'ouverture, plusieurs personnes représentaient l'Etat, issues de l'Agence du numérique, de la Chancellerie et de la DGE, un triptyque intéressant. Dans les conférences et les tables rondes, le code du travail numérique a été présenté, ainsi que tous les travaux sur la certification des plateformes juridiques et les projets OpenFisca et OpenJustice issus des travaux publiés par OpenLaw avec le privé et le public dès l'origine.
A.-P. : Avez-vous eu des retours sur des partenariats qui se sont noués au Village ?
C.A. : Oui, tout le temps ! Par exemple, lors des deux premières éditions, Total et la Société générale étaient là en force pour faire leur marché auprès de plusieurs legaltechs afin d'avoir des outils sur-mesure. Ça se fait de plus en plus. Natixis, Orange et Ubisoft sont d'autres bons exemples car, chaque année, ces groupes envoient une cinquantaine de responsables juridiques pour les sensibiliser à l'innovation et rencontrer des legaltechs potentiellement partenaires.
B.J. : On voit de plus en plus de groupes qui ont des directions de l'innovation au sein de leur direction juridique. Il y a eu une véritable restructuration de ce secteur qui ne se fait pas au détriment du juriste, mais qui vient en renfort et au développement du droit dans l'organisation.
A.-P. : Les profils de votre visitorat ont-ils évolué en quatre ans ?
C.A. : Notre premier public est issu de l'entreprise. Depuis deux éditions, ce sont essentiellement des juristes, des responsables et directeurs juridiques qui représentent plus de 25 % des visiteurs. Plus nombreuses que les avocats, les directions juridiques viennent car elles sont vraiment demandeuses d'outils et de pistes pour aider à bouleverser leur service et à “briller dans l'entreprise”. Plus que business partners, elles se veulent proactives et vont un cran plus loin. Elles utilisent aussi le salon pour booster leur marque employeur et dynamiser leurs recrutements.
Nous avons aujourd'hui 20 % d'avocats, ce qui représente tout de même plus de 600 professionnels, ce qui est un public intéressant, dont une majeure partie est déjà innovante et l'autre souhaite comprendre ce qu'il se passe et modifier sa pratique professionnelle.
On trouve aussi pas mal d'étudiants en droit, car on a beaucoup travaillé cette cible pour qu'ils viennent s'intéresser et participer à cet écosystème qui est leur futur.
Ce qui est intéressant surtout est la présence en masse de l'écosystème de la legaltech avec 150 acteurs présents au salon, sur les 300 maximum qu'on a recensé.
Depuis un an, on constate la présence de recruteurs, notamment pour le compte des grandes directions juridiques qui embauchent de nouveaux profils comme des responsables et des directeurs de l'innovation ou des legal designers.
B.J. : Il y a en plus une croissance de participation des acteurs publics. Au tout début, il n'y avait que la Dila (Direction de l'information légale et administrative), membre d'OpenLaw, alors qu'aujourd'hui il y a beaucoup de membres du Gouvernement et de différents ministères, comme la Chancellerie et Bercy, et des acteurs de projets menés par la Direction générale des entreprises, par exemple, qui ne sont pas membres d'OpenLaw et avec qui nous ne sommes pas habitués à travailler. Ces professionnels viennent au salon car ils ont un vrai intérêt à y être pour échanger avec le public et créer le débat.
A.-P. : Êtes-vous satisfaits de la participation des Pouvoirs publics avec l'écosystème de la legaltech et votre salon ?
B.J. : Oui, très. Les acteurs publics se déplacent davantage ce qui est très bon signe.
C.A. : Je pense que c'est une forme de reconnaissance, même si parfois les choses restent un peu trop cloisonnées entre le privé et le public, mais c'est indispensable dans le monde du droit. Leur participation s'accroît, et certains services viennent aujourd'hui nous présenter des projets en version bêta et s'impliquent dans cette démarche de coopération.