Affiches Parisiennes : Pourquoi vous a-t-on choisi pour prendre la présidence de cette commission Droit & Entreprise ?
Leila Hamzaoui : Il faudrait poser la question aux électeurs de l’assemblée générale du CNB ! Avec la FNUJA, Fédération nationale des UJA et l’UJA de Paris, nous avons réfléchi à ma candidature comme une continuité de notre action. Mon action, dans ce cadre syndical, a toujours été très orientée vers l’entreprise et l’entrepreneuriat. Pour moi, c’est l’une des clés du développement des avocats. Depuis des années, et c’est là-dessus que j’avais orienté ma présidence à l’UJA, je soutiens que les avocats doivent notamment réinvestir l’entreprise et certains marchés pour y reprendre des parts de marché. Sur le terrain des particuliers, nous sommes identifiés. Au sein des entreprises, en revanche, nous le sommes sans doute en contentieux, mais en matière de conseil, nous avons une très grande marge de progression, notamment au sein des TPE et les PME.
A.-P. : Pourquoi le marché de l’entreprise échappe-t-il à l’avocat ?
L. H. : Le « réflexe avocat » n’existe pas encore dans les entreprises. Par facilité, elles contactent leur expert-comptable, ou vont chercher à s’informer sur internet. Le constat, à ce jour, est que pour un conseil, une démarche d’anticipation, pour une démarche stratégique, elles ont trop rarement recours à l’avocat, alors qu’il devrait être le premier partenaire. Nous devons entreprendre la reconquête de ces marchés, il faut retravailler nos process, nos méthodes de travail et notre visibilité pour nous inscrire dans la dynamique actuelle. Nous devons aussi retravailler nos offres pour mieux répondre à l’attente des entrepreneurs. Nous devons recréer du lien avec eux. J’ai travaillé sur le sujet quand j’étais présidente de l’UJA Paris et je m’y emploie actuellement au sein de la commission prospective de la FNUJA.
Ma pratique en droit du travail à destination des entreprises me renforce dans ces orientations. Je dis bien « entreprises » et pas « employeurs », car ce n’est pas la même chose. L’intérêt de l’entreprise c’est aussi d’avoir une démarche plus globale, sociale, de favoriser la négociation… Ce qui n’est pas forcément celui de l’employeur.
A.-P. : Quand vous évoquez « les autres professionnels » en proximité avec l’entreprise, vous pensez essentiellement aux experts-comptables ?
L. H. : Il y a effectivement les experts-comptables, parce qu’ils sont en très grande proximité avec l’entreprise, mais il y a aussi beaucoup d’autres intervenants. Le droit se trouve à présent partout. Vous faites vos recherches et votre marché sur internet et vous trouvez beaucoup d’informations. Vous pouvez avoir l’impression, erronée, d’être conseillé en ligne. Il y a de plus en plus de pépinières, d’incubateurs, où l’on trouve des conseils en organisation, en stratégie, mais pas de conseils juridiques. On n’imagine pas qu’un avocat peut accompagner l’entreprise. Les entreprises n’ont pas le « réflexe juridique » dans un pays où la norme est pourtant omniprésente. Les avocats doivent donc adapter leur fonctionnement, leur message aussi. Il faut faire évoluer nos offres et nos politiques d’honoraires pour répondre aux impératifs du marché d’aujourd’hui.
A.-P. : Vous souhaitez que l’avocat exerce comme le conseil juridique d’antan ?
L. H. : Nous sommes des conseils juridiques, nous avons toujours été dans le conseil juridique aux entreprises. Effectivement, le conseil juridique avait cette proximité avec l’entreprise qu’il perd progressivement. Aujourd’hui, nous ne sommes plus identifiés comme les bonnes personnes pour donner le bon conseil.
Au récent Salon des entrepreneurs, un jeune créateur est venu me voir sur le stand du CNB pour m’exposer ses problèmes. Il constituait une société en ayant de la sécurité juridique une vue assez évasive. Il ne semblait pas savoir qu’un avocat pouvait prendre en charge tous les problèmes initiaux que rencontre l’entrepreneur. Surtout, il n’imaginait pas que nous proposons ces services. Nous avons un réel problème de visibilité dans les TPE et les PME. Les grandes entreprises ont pour leur part mieux identifiée le rôle de l’avocat, même s’il existe évidemment des axes de progrès.
« Il faut développer des outils mutualisés et assister les confrères dans leur communication au quotidien à destination des entreprises. »
A.-P. : Quels sont les plus lourds handicaps des avocats sur ce marché de l’entreprise ?
L. H. : Surtout le manque de visibilité et le manque de transparence, notamment en termes de coûts.
A.-P. : Un cabinet parisien a récemment ouvert ses portes en affichant ses tarifs en vitrine. Que pensez-vous de cette initiative ?
L. H. : Ce qui est intéressant dans cette démarche, c’est qu’elle ouvre le cabinet à des clients qui ne seraient jamais entrés sans cet affichage, voire n’auraient jamais contactés un avocat sans cette « agence ». C’est pratique et accessible. Les avocats ont longtemps eu des règles de déontologie très strictes qui leur interdisaient beaucoup de choses en matière de promotion et de publicité. Les choses évoluent… Sur la question des honoraires, les avocats de ce cabinet ont étudié un modèle économique qui leur permet ce type d’offres. En revanche, il faut rester vigilant. Nos missions peuvent difficilement être toutes forfaitisées. Nous avons néanmoins un vrai travail à entreprendre sur notre capacité à donner l’information, à établir des devis. C’est très français de ne pas savoir parler des honoraires… Il faut également savoir expliquer ses prix.
En sortant de l’exemple de ce cabinet parisien, fixer des tarifs forfaitaires pour les entreprises n’est pas forcément représentatif du travail de l’avocat. Les sociétés n’ont ni les mêmes problèmes ni les mêmes contraintes. Chaque cas est vraiment particulier. Nous devons néanmoins travailler sur l’anticipation de nos coûts – dans le respect de nos contraintes économiques – et même sur le fonctionnement de nos cabinets. Celui que vous citez est un bon exemple. Ces avocats ont réfléchi leur organisation pour générer de l’efficacité et la répercuter sur les coûts. Le mot « process » est encore tabou chez nous. La profession doit pourtant réfléchir aux moyens à mettre en œuvre pour être efficace en termes de prix, notamment face à la concurrence d’internet ou à celle des autres avocats européens. Aujourd’hui, le droit est accessible partout et nous devons vite le comprendre. Il faut pouvoir argumenter sur nos différences et notre valeur ajoutée. Le président du CNB a parlé d’annuaire, de site de consultations numériques. Je pense que tout cela est important parce que l’accès à l’entreprise est compliqué pour l’avocat et qu’il faut créer des espaces de rencontres.
A.-P. : Quelles sont les priorités de la commission Droit & Entreprise ?
L. H. : La communication de l’avocat à destination du public entreprise et cette réflexion autour des honoraires est la mission d’un des groupes de travail. Un autre se penche sur la visibilité. Comment faire pour créer des lieux de rencontre ? Faut-il uniquement utiliser la communication ? Par ailleurs, beaucoup de partenariats, initiés par mon prédécesseur, vont être poursuivis, comme notre participation au réseau Transmettre & Reprendre, avec les CCI, les Chambres des métiers, l’Agence pour la création d’entreprise… qui ont vocation à créer des pôles de compétences.
Un autre axe de travail vise à créer des outils communs et à fluidifier leur diffusion dans tous les barreaux. Les membres de la commission ont vraiment cette volonté de rendre les outils accessibles à tous les avocats.
La diffusion de l’information est donc également au cœur du travail. Par exemple, l’équipe de permanents du CNB qui a préparé la participation au Salon des entrepreneurs a édité un petit guide sur les services que peut apporter l’avocat. Ce support, qui a connu un vif succès, précise l’apport de l’avocat et sa valeur ajoutée. Il faut développer ces outils mutualisés et assister les confrères dans leur communication au quotidien à destination des entreprises.
Nous avons un autre grand axe de travail qui devrait nous occuper durant toute la mandature. C’est le prolongement de la réflexion menée depuis longtemps au sein de la FNUJA, du CNB et du barreau de Paris sur l’audit juridique des entreprises.
A.-P. : Quelles seront les fonctions de l’auditeur juridique ? Exercera-t-il un contrôle sur le droit similaire à celui du commissaire aux comptes sur les finances ?
L. H. : Dans ma vision oui, il le devrait. Aujourd’hui, l’entreprise a des directions de la conformité, de la compliance… Avoir un audit juridique pour évaluer les risques obligatoires ou non, paraît néanmoins nécessaire, même si cela n’arrange pas forcément les entreprises. Cet audit serait effectué à la création de la société, au moment des opérations (fusions, acquisitions…), ou encore périodiquement, afin d’évaluer les risques juridiques par un professionnel du droit, comme on fait évaluer les risques financiers par un professionnel du chiffre. C’est aussi un moyen d’ancrer le droit dans l’entreprise et de lui donner de la sécurité à un moment où les normes juridiques sont largement aussi complexes que les normes comptables.
Aujourd’hui, nous ne sommes pas parvenus à susciter ce réflexe de sécurisation juridique, en particulier en amont. C’est, il est vrai, très compliqué à l’envisager, parce que les règles de déontologie de l’avocat ne sont pas celles du commissaire aux comptes. Cela pose notamment des problèmes en cas d’infractions qui seraient identifiées au moment de l’audit, mais c’est aussi une réalité du marché. Les difficultés de l’entreprise arrivent aussi parce qu’il y a une norme non maîtrisée ou une évolution de cette norme qui n’a pas été anticipée. On se retrouve avec des sociétés en grande difficulté parce qu’elles n’ont pas su maîtriser l’évolution des textes. Dans mon domaine, je le vois souvent à travers le contrôle Urssaf. La norme juridique est complexe et évolue constamment. De grosses erreurs peuvent être commises si vous n’êtes pas un spécialiste du droit.
A.-P. : Ne vous attendez-vous pas à une levée de bouclier des entreprises si l’intervention de cet auditeur juridique devient obligatoire ?
L. H. : Il s’agira plutôt d’un « audit juridique de conformité ». Encore une fois, l’idée est de donner à l’entreprise de la sécurité juridique. Les directions juridiques le font, mais elles pourraient parfaitement être auditées, comme le sont les directions financières, par les commissaires aux comptes.
Les avocats sont aux côtés des entreprises et peuvent offrir cette prestation pour sécuriser en amont. Les grandes entreprises sont aussi concernées. Ce n’est pas une remise en cause de la compétence des directions juridiques, au contraire. C’est plutôt un appui, une aide face à l’évolution et la complexification constantes de la norme, le rapprochement de l’avocat et de l’entreprise en amont des problèmes.
A.-P. : À ce propos, la question de l’avocat en entreprise est définitivement close ?
L. H. : Disons qu’elle n’est pas d’actualité. Le CNB s’est prononcé lors de son assemblée générale du 3 octobre dernier à l’occasion de la loi Macron. Pour autant, nous ne savons pas si Bercy et la Chancellerie ont entendu cette position et s’ils la respecteront. Vous savez, par ailleurs, que le legal privilege, demandé par les juristes d’entreprise, vient d’être écarté par la commission spéciale du Sénat… Nous travaillerons sans doute ce sujet avec la Chancellerie, mais dans un timing qui reste à déterminer. La question n’est aujourd’hui pas à l’ordre du jour du CNB.
A.-P. : Quelles seront vos impulsions en tant que présidente de la commission Droit & Entreprise ?
L. H. : Nous avons déjà créé les groupes de travail « audit juridique » et « honoraires » qui préparent des rapports qui seront soumis à l’assemblée générale du CNB. Parallèlement, nous assurons beaucoup de représentation. Dernièrement, je suis intervenue dans le cadre d’une mission au Sénat sur l’attractivité internationale du droit des entreprises. La question était ‘‘sommes-nous compétitifs pour attirer des investisseurs en France ?’’ Notre réponse est ‘‘Oui !’’. Le droit des entreprises est compétitif, mais il nécessite quelques aménagements. Ces réflexions permettent de redynamiser le droit des entreprises et de remettre les avocats au cœur du dispositif. Nous multiplions également les contributions pour les projets de loi. Nous avons, par exemple, contribué à l’évaluation de la loi Hamon sur le droit d’information préalable des salariés. Nous sommes aussi très présents aux côtés des entreprises sur la construction de la loi, les évolutions, les évaluations, les relations avec les Pouvoirs publics ; tout ce qui peut permettre de valoriser le droit des entreprises et de favoriser le lien entre les avocats et les entreprises, pour un bénéfice mutuel. Voilà la vocation première de la commission et je m’y emploie.
Je suis aussi attachée à la réflexion sur cet accès numérique au conseil en droit qu’envisage actuellement le président Pascal Eydoux, parce qu’aujourd’hui, cela devrait déjà être une avancée acquise. Le public doit impérativement et urgemment accéder numériquement à un avocat.
J’ai aussi dans mes pistes de réflexion, en lien avec la commission communication, la création d’un label, qui viendrait prouver que l’internaute est bel et bien en lien avec un avocat, serait une autre façon de lutter contre les braconniers du droit et d’améliorer notre visibilité…
A.-P. : Comment se compose la commission Droit & Entreprise du CNB ?
L. H. : Nous sommes huit membres élus dans cette commission et nous avons des « invités » permanents, Michèle Tisseyre, la vice-présidente de la commission communication, des experts et des personnalités qualifiées, qui ont notamment eu un mandat au sein du CNB. Parmi ces experts, il y a des professionnels qui ont des compétences très pointues et qui vont nous apporter leurs connaissances du marché pour affiner les questions de visibilité : l’exercice d’un travailliste n’est pas le même que celui d’un publiciste… J’ai aussi la chance d’avoir un éminent professeur à HEC, spécialiste de la fiscalité, et une directrice juridique qui nous apportent leur vision prospective sur l’évolution du droit des entreprises.
A.-P. : Quelles seront vos autres actions au CNB en dehors de la présidence de cette commission ?
L. H. : La vie d’une commission prend beaucoup de temps. C’est une commission qui est vraiment passionnante. Il faut animer, participer aux réunions, assurer à chaque fois qu’il est nécessaire, la représentation du CNB sur les sujets relevant du périmètre de la commission, préparer les conventions de partenariats, les contributions… Je travaille également au sein de la commission « statut professionnel » qui correspond à mon histoire à l’UJA où j’étais responsable de la commission « Carrière, installation et association ». Pendant des années, j’ai beaucoup travaillé sur des questions de carrière, de montage de projet, d’entreprenariat, de formation des confrères. Je m’y suis investie également dès l’EFB. Il y a, par ailleurs, les commissions ad hoc. Le bureau du CNB m’a demandé notamment d’y travailler sur la question de la confidentialité des avis des juristes. Il y a ainsi beaucoup d’actions ponctuelles.
A.-P. : Quelles sont les conclusions des travaux de ce groupe ad hoc sur la confidentialité des avis des juristes ?
L. H. : C’est un groupe de réflexion qui vient d’être créé. Nous ne sommes donc pas encore au stade des conclusions.