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Développement des modes amiables devant les juridictions administratives

Le Conseil d'État a récemment organisé, en partenariat avec l'Ordre des avocats de Paris et le Groupement européen des magistrats pour la médiation (GEMME-France), un colloque sur la médiation et la conciliation devant les juridictions administratives. Des propositions concrètes ont été formulées pour développer, à la lumière des pratiques du juge judiciaire, les modes alternatifs de règlement des différends, qui restent trop peu utilisés en matière administrative malgré leurs nombreux atouts.
Développement des modes amiables devant les juridictions administratives

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Après une brève introduction du sujet par le bâtonnier Pierre-Olivier Sur, Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’Etat a rappelé que la médiation et la conciliation répondent à des besoins accrus de pacification des rapports sociaux. « Le droit contemporain a placé le juge au cœur des rapports judiciaires, toutefois, il n'est plus une première ligne mais un recours ».

Face à un engorgement manifeste des prétoires et à une volonté de garantir l’accès à la justice et l’effectivité de nos droits, notre société a développé des modes de règlement des conflits plus horizontaux, plus souples et plus rapides. En matière administrative, ces outils de conciliation restent limités et ne sont pas assez utilisés, déplore Jean-Marc Sauvé (photo). Une refonte des textes en vigueur s'impose pour développer les procédures amiables en administratif. Le vice-président du Conseil d’Etat se dit très favorable à une modification de l’article L211-4 du Code de justice administrative, et souhaite qu'un projet soit rapidement proposé au parlement.
Pour ce dernier, il s’agit d’un « défi important mais à notre portée, le décollage de ces procédures dépend de l'engagement des juges ». Jean-Marc Sauvé, qui espère que les pistes de travail du colloque porteront leurs fruits, attend qu'une véritable impulsion en matière de procédures amiables puisse être donnée dans les juridictions administratives.

Pourquoi un tel retard devant le juge administratif ?

Une belle apologie de la médiation - procédure jurisprudentielle née de la pratique pour rétablir le dialogue social dans les années 1970 – a été dressée par Béatrice Brenneur, présidente de GEMME-France. Si ce nouveau mode amiable a mis du temps à décoller, il n’en demeure pas moins que c’est un véritable succès. « C'est une loi de 1995 qui a permis à la médiation judiciaire de se développer, spécialement dans le domaine social. En seulement 3 mois, 800 accords avaient été homologués ! » Depuis 2011, tous les pays européens ont inscrit dans leur droit la possibilité d'avoir accès à la médiation. Toutefois, nous connaissons un retard en matière administrative.

En dressant un état des lieux législatif de la médiation, Catherine Chadelat, conseillère d’Etat, a souligné le contraste entre la pratique et la réaction des pouvoirs publics quelque peu tardive. Ce n’est qu’en 1995 que la médiation fut inscrite dans la loi, avec un champ d'action limité au judiciaire. Ce n'est qu’en 2002 que le Conseil d'Etat a décidé que les juges administratifs pouvaient homologuer des protocoles d'accords faits en médiation ou en conciliation. L'Union européenne a alors pris le relais avec une volonté d’aboutir à un texte ambitieux, ce qui ne fut pas le cas. La directive du 21 mai 2008 s’est révélée n’être qu'une législation cadre, souple, axée sur le principe de subsidiarité, et qui ne contient que peu de principes fondamentaux : professionnalisation du médiateur, confidentialité, effet interruptif de la prescription, caractère exécutoire…Catherine Chadelat s’étonne que la médiation n'ai pas été vue comme un moyen efficace de désencombrer les prétoires et que la directive ne vise que les litiges transfrontaliers.

C’est alors l'ordonnance du 16 novembre 2011, élaborée selon les principes de la directive européenne, qui a développé le recours à la médiation et la conciliation conventionnelle dans la loi. Toutefois, en matière administrative, il y a des lacunes puisque l'ordonnance ne règle pas la question de la prise en charge du coût de la procédure.

Natalie Fricero (photo), professeure à l’université de Nice Sophia Antipolis, a expliqué que la médiation et la conciliation subissent une « migration douce des modèles », du judiciaire vers l'administratif. Pour cette dernière, il est impossible d'opposer deux justices, la traditionnelle et la contractuelle. Toutefois, la tradition française a toujours privilégié la conciliation par le juge, ce qui est justifié. « Il est évident qu'un mode amiable doit se faire à l'ombre du juge puisqu'il garantit le respect des droits fondamentaux » souligne la professeure.

Enfin, la grande différence entre la médiation administrative et judiciaire pour Béatrice Brenneur est, qu’en matière administrative les parties ne sont pas maître de la fin du conflit. Cette procédure de médiation est un peu plus longue car le dossier doit être validé par la puissance publique, ce qui explique la frilosité. Ainsi, les 3 mois que l'on donne au médiateur en judiciaire pour accomplir sa mission sont peut-être insuffisants en matière administrative.

Comment ça se passe ailleurs ?

Un retour très intéressant sur l’expérience helvétique a été rapporté par Jean-Luc Baechler, président du tribunal administratif fédéral suisse. Pour ce juge au tribunal administratif de Saint-Gall, le plus grand de Suisse avec 65 magistrats, la médiation permet d'éviter que l'administré ait l'impression qu'on ne l'entend pas et qu'il n'y a plus rien à faire. Les modes alternatifs de règlement des différends (MARD) sont très développés en Suisse : conciliation, médiation, arbitrage et ombudsman (sorte de médiateur de la République, intermédiaire entre l'administré et l'autorité, nom d'origine suédoise qui signifie « porte-parole des griefs » ou « homme des doléances »). Là-bas, le juge administratif peut accepter ou non la médiation ou la conciliation depuis une loi de 1968, et il le fait très régulièrement. Le médiateur doit être une personne physique, expérimentée, neutre, indépendante, de formation juridique, et avoir une compétence technique particulière selon la nature du conflit. Il n'a aucune compétence décisionnelle, tout revient au juge qui doit homologuer la médiation. Pour Jean-Luc Baechler le pouvoir d'appréciation du juge est fondamental.

Peter Osten a, quant à lui, présenté le système allemand qui, à l’instar de ce qui se fait en Suisse, utilise régulièrement les modes amiables, même devant les juridictions administratives. Pour ce médiateur et juge administratif honoraire allemand, la grande différence se fait sur la médiation judiciaire réalisée par les juges conciliateurs, très usitée en Allemagne. Certains juges ont été des pionniers en droit administratifs et ont impulsé les parties à recourir à la médiation, surtout dans le domaine de l’urbanisme. Peter Osten suit ce mouvement et prend son rôle dans la médiation très à cœur. Il a d’ailleurs terminé son intervention en citant un tweet de notre ministère de la Justice relayant les propos récents de la garde des Sceaux Christiane Taubira « la médiation et la conciliation ne doivent pas être traitées comme un pis-aller pour désengorger les juridictions ». Il faut donc les prendre au sérieux et les mettre en oeuvre uniquement avec des professionnels.

Que souhaitent les acteurs de la médiation administrative pour qu’elle se développe ?

Hirbod Dehghani-Azar (photo à gauche), avocat et président de l’association des médiateurs européens, a abordé les attentes que peuvent avoir les avocats en matière de réforme de la médiation en matière publique. Il souhaite que soit établi un cadre stable pour sécuriser les relations dans l'intérêt des clients, et pouvoir proposer une plus grande accessibilité. Pour proposer la médiation à des clients ayant un litige administratif il faut pouvoir contrôler l’entrée du processus, son déroulement, son coût, les délais et la sortie afin d’apporter une solution « sur mesure ».

Les avocats souhaiteraient avoir un accès privilégié et rapide au juge pour pouvoir homologuer les décisions, ce qui se fait déjà auprès de la Cour d'appel de Lyon.
Pour cet avocat, il est important que ses confrères développent une stratégie de communication pour défendre la médiation. Il félicite d’ailleurs le barreau de Paris d'avoir créer une école de la médiation et des modes amiables. « Il faut convaincre son client que la médiation est qualitative et n’est pas un déni de justice ».

L’ancien ministre Christian Pierret, avocat et ancien maire de Saint-Dié-des-Voges est intervenu au titre des élus. Le médiateur aide les parties à trouver elles-mêmes la solution à leur conflit, ce qui est mieux en termes de citoyenneté selon lui, et se prête d'autant plus à la matière administrative. « Nous, élus, nous militons pour que ce passage supérieur à une citoyenneté plus élaborée puisse se faire à l'occasion de la mise en œuvre de la médiation, par exemple dans le règlement de litiges en série qui suivent de gros aménagements urbains ».

Il a rappelé que de nombreux contentieux administratifs prennent des années (particulièrement en droit de l’urbanisme - « la bête noire des élus »- et sur la réglementation de l’eau), et finalement tout le monde est perdant. « La notion de délai raisonnable est essentielle, surtout en droit public. » Enfin, Christian Pierret a alerté l’auditoire sur la question de l'indépendance du médiateur en droit public et le risque particulier de conflit d'intérêts auquel il est exposé dans les petites et moyennes communes.

Catherine de Salins et Jean Maïa (photo à droite), conseillers d’Etat, ont donné le point de vue de l’administration. Pour celle-ci, la plupart des administrations n'ont jamais connu de procédure de médiation telle qu'on l'entend au judiciaire, toutefois, elles ont développé récemment de nombreux mécanismes de prévention des conflits. Une autre approche de la relation administré/administration est en train de naître. Par exemple, en matière de relations humaines, plusieurs ministères ont mis en place des médiateurs pour résoudre les litiges (médiateur de la police nationale, médiateur militaire, cellule Témis du ministère des armées pour le traitement du harcèlement sexuel etc.). Jean Maïa a, quant à lui, souligné le fait que la médiation s'impose petit à petit comme un outil efficace dans le champ économique et financier administratif. « La vertu principale est la très grande souplesse du dispositif ». Cependant, pour lui, l'administration n'a pas de grand avantage à avoir recours à la médiation puisqu'elle a largement les moyens de faire face à un contentieux ! En réalité, pour l’Etat, le principal enjeu de la médiation est le gain de temps qu’elle offre, sans oublier l'enjeu réputationnel.

Quelles actions pourraient être mises en œuvre ?

Cécile Cottier, première conseillère à la cour administrative d’appel de Lyon, a donné les résultats du questionnaire posé récemment à tous les tribunaux administratifs (TA) et cours administratives d’appel (CAA) françaises sur l’utilisation de la médiation et de la conciliation. Ce questionnaire est la preuve manifeste qu’un élan existe en la matière puisqu’il a eu un taux de réponses exceptionnel de 100%, toutes les juridictions administratives ayant répondu. La CAA de Lyon et 21 TA ont mené une expérimentation de conciliation ces dix dernières années et ont eu des résultats plutôt satisfaisants qui donnent une bonne image de l'utilisation des modes amiables dans les juridictions administratives. Selon l’étude, 82 conciliations auraient été réalisées sur une centaine proposées. Les TA de Grenoble et de Nice sont particulièrement volontaristes.

D’ailleurs, Stéphane Wegner, vice-président du TA de Grenoble a fait part de son expérience. Depuis 2013 une cinquantaine de propositions de conciliations ont été faites sur des questions de domaine public, de marché public, de police administrative ... (ce qui est très bien pour ce tribunal qui « en est encore à un stade très artisanal »). Sur ces propositions, 25 ont été acceptées, 10 refusées, et les autres sont en attente de réponses. Le coût de la procédure varie de 500 à 600 euros par dossier. Si les membres du tribunal avaient beaucoup d'espoir sur les contentieux sociaux et les permis de construire, cela n'a pas bien fonctionné au final car en général les montants sont relativement faibles et la compréhension ne se fait pas. Toutefois, il ne désespère pas avec son équipe d’instaurer ce mode de résolution amiable en droit public.

Pour de nombreux intervenants, il faut une instruction qui vienne de l'administration centrale, donc de l'Etat, pour booster ce mouvement car certains fonctionnaires sont très réticents à la médiation.

Gilbert Cousteaux, président de chambre de la cour d’appel de Toulouse, estime indispensable que la médiation soit institutionnalisée par des structures pérennes et collectives. Selon lui, la formation devrait être obligatoire aux avocats et juges dont la matière de prête à la médiation, et les tribunaux administratifs devraient créer des unités de médiation. A ce jour, il en existe dans certaines juridictions judiciaires telles que les cours d’appel de Paris, Grenoble et La Rochelle.

Tout est une question d’organisation et de volonté insufflée par le haut. Jean-Marc Le Gars, président de la CAA de Lyon, a partagé son retour d'expérience sur la conciliation qu’il pratique depuis 1999, « alors en vogue au ministère de la Justice, c’est donc sans surprise que le vice-président du Conseil d’Etat de l’époque a décidé de créer un groupe de travail pour rechercher les conditions dans lesquelles elle pouvait prospérer devant les juridictions administratives », groupe dont il était membre. Les conclusions du groupe étaient favorables à l’utilisation de la médiation et la conciliation devant les juridictions administratives mais il a estimé qu’il n’était pas souhaitable de proposer l’édition de dispositions réglementaires d’application « et là était peut-être le problème » ! Cette démarche expérimentale a ensuite été tuée dans l’œuf en l'an 2000, par une garde des Sceaux réfractaire.

Pour ce magistrat, il faut peu de chose pour que l’application de la conciliation en administratif se concrétise : « des exemples réussis et un peu de publicité, mais attention toutefois à ne pas enfreindre l’obligation de confidentialité ».
Enfin, il faut améliorer le cadre administratif, car c'est à ce prix que les administrés seront convaincus.

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