Affiches Parisiennes : Vous venez de prendre la présidence de l’ACE, l’association des avocats-conseils d’entreprises. Pouvez-vous vous présenter ?
Denis Raynal : J’ai commencé ma carrière comme juriste d’entreprise en 1985, au sein de la structure assurance et assistance voyage de la GMF et de la FNAC. Puis j’ai été conseil juridique avant de devenir avocat, en 1992, lors de la fusion des deux professions. J’ai ensuite passé les certificats de spécialité en droit des sociétés et en droit fiscal. Depuis 2000, je suis associé-dirigeant de KBRC & Associés, un cabinet d’affaires à vocation à la fois judiciaire et juridique. KBRC conseille et défend les entreprises, TPE, PME, ETI, sociétés cotées, et leurs dirigeants. Notre vocation est d’intervenir sur un plan stratégique auprès des directions générales, financières ou juridiques. Cette intervention au sein de l’entreprise suppose d’avoir une perception globale des besoins du client afin d’être son interlocuteur unique, de confiance, pour traiter en équipe des dossiers complexes et variés. Nous agrégeons alors les compétences nécessaires à la mise en œuvre d’une assistance adaptée. Nous faisons intervenir un réseau d’avocats ayant des compétences spécifiques en restant l’interlocuteur exclusif du dirigeant et de ces spécialistes.
A.-P. : Quels sont aujourd’hui vos objectifs à la tête de l’ACE ?
D. R. : Nombre de nos idées, voire toutes, sont systématiquement reprises. Hélas, souvent décriées lorsque nous les proposons, on convient plus tard qu’elles sont bonnes. Donc, du temps est inutilement perdu. Mon caractère est d’être constructif et pragmatique. Et efficace. Les jeux de pouvoirs et postures m’amusent peu. Je suis désormais à la tête de ce syndicat et je dirige mon cabinet. J’appliquerai à ma mandature ce que je suis et ce pourquoi j’ai été élu. Mon objectif est vraiment que l’ACE affirme son ambition d’être la voix positive et constructive, le moteur de la profession. Et au-delà de celle-ci. Le syndicat est aujourd’hui reconnu par la profession. Nous voulons que cette force puisse servir à la fois les intérêts de nos adhérents et de leurs clients, les entreprises et les entrepreneurs. Nous venons de montrer notre volonté et capacité de mobilisation pour la profession à travers le dossier de l’aide juridictionnelle. Nous nous sommes mobilisés comme jamais et de manière extrêmement rapide. Ce combat est loin d’être fini et ne doit pas s’arrêter à la juste protection de nos Carpa ni à une augmentation ridicule de l’UV. Ridicule. Autre exemple d’action allant trouver un proche écho, le travail de l’ACE dans l’accompagnement des avocats au mécénat culturel. Sur ce dossier, l’ACE et au premier chef la présidente de notre commission de droit de l’art Anne-Sophie Nardon, a été à la manœuvre pour sensibiliser le CNB au sujet (profession juridique majeure pourtant jusque-là complètement absente du dispositif). Ainsi, le CNB signera le 19 novembre, un protocole d’accord avec le ministère de la Culture pour désigner des correspondants avocats auprès des directions régionales de la culture afin d’assumer des missions d’information sur le mécénat artistique. Ce partenariat permettra à nos adhérents, en régions comme à Paris, de proposer à leurs clients cette nouvelle approche du mécénat d’entreprise pilotée par des avocats. Nos adhérents ne sont pas les seuls concernés, mais nous ferons la promotion de ce produit au sein de nos forces. J’invite tous les avocats à prendre connaissance de cette convention qui peut leur apporter de nouvelles opportunités. Autre point de notre programme mais cette fois destinée à plus large que la profession « l’État, outil de croissance ». Les avocats ont perdu le goût de faire avancer la société. Ils sont de plus en plus repliés sur eux-mêmes, sur les avocats, les difficultés des avocats, la pratique de l’avocat… C’est une erreur. L’avocat conseille et défend des justiciables, des entreprises. L’avocat est à l’écoute autant qu’à la défense. L’avocat doit redevenir une force de proposition et d’action pour une société meilleure. Notre programme « l’État outil de croissance » est un premier pas. Nos membres conseillent des entreprises. Les entreprises font la croissance mais il faut que l’État les entende dans leurs besoins ou leurs blocages. À l’ACE, nos vingt-cinq commissions de travail, dont l’une des dernières-nées est celle de droit comptable, produisent de la doctrine, des positions pratiques, des éléments de réflexion nécessaires à l’évolution des entreprises et nous voulons proposer au ministère de l’Économie dans un avenir très proche, nos 20 pistes pour « un État outil de croissance ».
A.-P. : Vous proposez d’organiser aujourd’hui des états généraux de l’aide juridictionnelle. Ceux-ci sont-ils toujours d’actualité après la signature du protocole d’accord signé par le CNB, la Conférence des bâtonniers et le barreau de Paris avec la Chancellerie ?
D. R. : Nous sommes plus que jamais pour l’organisation de ces états généraux. Les termes de l’accord ne satisfont nullement l’ACE. C’est à peine un minimum qui nous est proposé. Le seul acquis véritable est la suppression du prélèvement du fonds CARPA. Nous étions mobilisés pour obtenir un meilleur tarif de rémunération de l’aide juridictionnelle. La seule indexation au cours de l’inflation depuis 2007 ne peut suffire. Je me suis livré à un petit calcul. Schématiquement, il semble qu’on puisse considérer que l’unité de valeur représente à peine 1 % de la rémunération mensuelle nette disponible d’un avocat type qui ferait de l’aide juridictionnelle à plein-temps. Avec une unité de valeur à 25 euros par exemple, suivant barèmes, ce calcul théorique aboutit à une rémunération nette mensuelle pour un plein-temps au maximum d’à peine plus de 2 000 euros, en fonction des charges moyennes statistiques d’un cabinet. Rapporté à la formation et aux exigences du métier, eu égard à la responsabilité encourue, cela n’est évidemment pas suffisant. Concernant ces états généraux, le bâtonnier de Paris parle « d’accès au droit ». Pourquoi pas, si l’idée est la même. Nous maintenons d’autant plus notre volonté que soient organisés ces états généraux de l’aide juridictionnelle que nous avons l’impression que les avocats se sont un peu fait peur avec cette grève, alors qu’il faut aller immédiatement plus loin sur cette question. Et je vous le dis, la terminologie exacte de cette rencontre a vraiment peu d’importance. Que les confrères se rassurent. Qu’on arrête de regarder le doigt, mais plutôt la lune, pour reprendre ce vieil adage. Nous sommes tous concernés par ce sujet de l’AJ car il concerne la profession dans son ensemble, et regarde le serment que nous avons tous prêté.
A.-P. : Vous avez toujours l’adhésion des instances de la profession ?
D. R. : Pourquoi cette question ? Nous avons toujours été mobilisés aux côtés des instances tout en portant une voix claire et ferme. Cette solidarité de l’ensemble des syndicats, des Ordres, des avocats nous a permis d’avoir des discussions constructives. J’ai le soutien du bâtonnier de Paris qui évoque pour sa part « des états généraux de l’accès au droit ». Cette initiative est directement inspirée du communiqué de l’ACE du 26 octobre dernier. Les idées de l’ACE servent toujours la profession.
"La connaissance du droit n’est plus l’aspect différenciant de notre métier mais notre capacité à l’utiliser au mieux des intérêts de nos clients."
A.-P. : Concernant les prochaines élections au Conseil de l’Ordre du barreau de Paris, l’ACE parraine quatre candidats ?
D. R. : Nous en avons déjà eu trois. Cette année, nous avons effectivement quatre candidats sur plus de 40 candidatures, il me semble. Il s’agit d’un choix avisé du Conseil régional de l’ACE Paris. Notre syndicat est influent et représentatif à Paris, tant mieux ! Le nombre de candidats valeureux sympathisants de l’ACE, à ces élections, était important. Nous avons été contraints de faire ce choix, non pour envahir le terrain, mais pour présenter de belles candidatures. Caroline de Puységur (immobilier) et Thierry Montéran (entreprises en difficultés), impliqués depuis longtemps au sein des instances de l’ACE. Thomas McDonald représente les cabinets anglo-saxons. Cette tendance est actuellement importante à Paris. Michèle Dayan est, quant à elle, fer de lance en droit de la famille. D’ailleurs, je rappelle que nous avons mis en place une commission extrêmement performante de droit de la famille au sein de l’ACE, présidée par Céline Cadars-Beaufour, elle-même ancien membre du Conseil de l’Ordre et élue du collège ordinal au Conseil national des barreaux.
A.-P. : Les jeunes avocats ont actuellement beaucoup de préoccupations et beaucoup d’inquiétudes. Qu’est-ce que l’ACE propose à ces confrères qui arrivent dans la profession ?
D. R. : La plupart des jeunes ont compris que c’est au sein de l’ACE que leur avenir peut se dessiner. Nous avons une section « JA », jeunes avocats, qui rencontre beaucoup de succès et que nous devons continuer à promouvoir. Elle est actuellement animée avec beaucoup de dynamisme par Delphine Gallin qui est elle-même élue au CNB. La relève sera parfaitement assurée. Nous considérons, certes sans originalité, que les jeunes constituent la force vive de la profession et que les membres de l’ACE sont des exemples à suivre dans un choix de carrière. Nous avons beaucoup à leur donner, ils ont beaucoup à nous apporter avec leurs attentes et leur vision fraîche. Surtout au moment où la profession doit prendre un nouveau virage pour s’adapter à la société, au virage numérique radical qui s’impose à nous notamment. La connaissance du droit n’est plus l’aspect différenciant de notre métier mais notre capacité à l’utiliser au mieux des intérêts de nos clients. L’ACE n’hésite plus à se présenter comme un think tank, d’où l’importance du brassage des idées et des cultures quant à la pratique du métier.
A.-P. : Y a-t-il une différence entre les jeunes Parisiens et les jeunes des régions ?
D. R. : Les aspirations peuvent différer, comme les rythmes, la pratique… Mais avec les nouvelles technologies les frontières s’estompent… C’est cette richesse de contrastes plus que de différences que nous recherchons à mettre en lumière et en musique. À l’ACE, d’une manière générale, nous souhaitons optimiser les liens avec les régions et leurs jeunes. Ceux-ci sont extrêmement intéressés par les travaux et plus largement les services et la convivialité offerts par notre syndicat. Delphine Gallin, que j’ai le plaisir d’avoir à mes côtés en tant que vice-présidente nationale de l’ACE et qui quittera ses fonctions de présidente des jeunes en janvier prochain, est active au conseil régional de l’ACE Marseille. C’est dire si les régions ont droit de cité à l’ACE…
A.-P. : Au sein de l’association, l’avocat en entreprise est-il aujourd’hui d’actualité ?
D. R. : C’est mon actualité ! J’ai donné un an pour que nous ayons un résultat tangible. Faudra-t-il passer par un statut intermédiaire ? Le CNB, et c’est désolant, s’entête à s’enliser dans ce dossier alors qu’il est grand temps d’aboutir. Alors qu’il devrait être au premier rang pour moderniser et renforcer notre profession, il se laisse gouverner par la pression d’intérêts subalternes dont la force est la résultante d’une gouvernance de la profession devenue invraisemblable. Donc, auto-bloquée. Donc, inutile. Inutile à la profession et à la société et plus spécifiquement aux entreprises. On voit aujourd’hui des directions juridiques quitter le sol français pour aller exercer à l’étranger. Les entreprises françaises perdent chaque jour en compétitivité et on continue à mettre des obstacles surannés sur leur route. Vous verrez que les institutions de la profession seront bientôt obligées d’aller rechercher les juristes d’entreprise pour les supplier de devenir avocats ! Ils se sentent tellement rejetés par la profession qu’ils ne veulent plus en entendre parler. Ce qu’ils souhaitent aujourd’hui, c’est le legal privilege, leur secret professionnel. Aujourd’hui comme hier d’ailleurs puisque cette idée de proposer aux avocats de les rejoindre en une grande profession du droit, en obtenant un statut d’avocat en entreprise pour bénéficier d’une confidentialité, est une idée des Pouvoirs publics pas des directeurs juridiques. Paradoxalement, la problématique est aujourd’hui de parvenir à convaincre les juristes d’entreprise – la plupart sont d’anciens avocats omis du barreau – qu’ils ont intérêt à venir s’inscrire ou se réinscrire au tableau des avocats.
Ce sont ces éléments qui me font penser que nous allons pouvoir faire bouger les lignes, avec ou sans le CNB, pour une profession unique, forte et moderne, enfin. L’avocat en entreprise ferait partie d’une profession unique, celle de l’avocat, avec évidemment la même formation dans tous les aspects de la profession, avec un secret unique, opposable à tous, sauf naturellement à l’entreprise.
Quand on entend la garde des Sceaux dire que la profession d’avocat n’est pas prête à absorber quelque 13 000 juristes d’entreprise, alors qu’elle éprouve des difficultés à intégrer les promotions annuelles qui sortent de l’EFB et des centres de formation, nous sommes sidérés : les juristes d’entreprise dont il est question sont déjà en poste ! La seule chose que nous proposons, c’est d’être ensemble plus forts demain.
A.-P. : Les confrères des régions sont-ils ouverts à ce nouveau statut d’avocat en entreprise ?
D. R. : Oui ! Nous avons adopté une motion très forte au terme du récent congrès de Bruxelles qui marque avec vigueur la volonté de l’ACE nationale de revendiquer ce statut d’avocat en entreprise selon des principes essentiels : profession unique, formation commune, secret unique, ne pas porter la robe, ne pas plaider (ni pour leur employeur ni pour les sociétés du groupe), ne pas conseiller les clients de leur employeur, ne pas concurrencer les avocats libéraux.
En conclusion de cette rencontre, j’aimerais reprendre une phrase du Guépard, film dans lequel, je le rappelle, l’aristocratie sicilienne de l’époque s’inquiétait de l’évolution de la société et de la perte de ses privilèges. Si les avocats veulent maintenir forte la profession demain, voire la rendre plus forte encore en regagnant le terrain perdu « il faut que tout change pour que rien ne change ».