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Décryptage de la réforme pénale

Votée en plein cœur de l'été, le 15 août dernier, la réforme pénale tant discutée va enfin être mise en application. Décryptage par Jean-Yves Maréchal, expert en la matière, de cette réforme qui vient d'entrer en vigueur le 1er octobre.
Christiane Taubira, Garde des sceaux
AP - Christiane Taubira, Garde des sceaux

Droit Publié le ,

Si cette réforme est très polémique d’un point de vue politique, elle ne l’est guère d’un point de vue juridique. De fait, hormis l’effet d’annonce, elle ne change pas véritablement la donne.
Les problèmes de budgets, de réinsertion et de surpopulation carcérale n’y trouvent pas de solutions. Par ailleurs, « tout dépendra de ce que le juge en fera » selon Jean-Yves Maréchal, docteur en droit, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles et co-directeur de l’Institut de criminologie de Lille.

Pour lui, cette réforme contient deux points cardinaux : la suppression des peines plancher et la création de la contrainte pénale. Il décrypte ces principales dispositions de la loi pénale du 15 août 2014 issues de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive de février 2013 introduite par Madame Taubira.

  • La suppression des peines plancher :

Ce mécanisme tant décrié n’est pourtant pas inédit. On ignore souvent que jusqu'en 1994 il existait une peine minimum pour toutes les infractions, donc une peine plancher. Cependant ce minimum n'était pas obligatoire, le juge pouvait prononcer une peine plus courte en justifiant de circonstances atténuantes. Pour la peine plancher c'était un peu la même chose, mais uniquement pour les récidivistes. Le juge avait quand même le pouvoir de ne pas prononcer ces peines plancher s’il faisait état d’une « motivation spéciale », mécanisme très compliqué. En les supprimant, le législateur simplifie le droit pénal et donne plus de latitude aux juges. « Il essaye de faire baisser la surpopulation carcérale mais rien n'est moins sûr ! Les peines planchers n'étaient simplement qu'un mécanisme d'affichage politique ». Aujourd'hui, le juge retrouve son pouvoir d'individualisation de la sanction. Si Jean-Yves Maréchal est favorable à leur suppression, il n’est pas certain de la portée pratique de cette mesure.

  • La création de la contrainte pénale :

Cette nouvelle peine consiste à donner plus de pouvoir au juge et éviter l'emprisonnement en créant une peine consistant « à punir dehors » selon le professeur émérite de l'université Panthéon-Assas Jacques-Henri Robert. Toutefois, la nature exacte de cette peine déçoit, car il s’agit d’une peine de substitution à l'emprisonnement et non d’une peine autonome. Le juge pourra donc prononcer la contrainte à la place de l'emprisonnement. Il n'y a ainsi aucune certitude que le juge le fera. Pour l'instant elle s'applique aux délits punis jusqu'à cinq ans d'emprisonnement, mais à partir du 1er janvier 2017 la contrainte pénale est étendue à tous les délits punis jusqu'à dix ans d'emprisonnement.
La différence avec le régime du sursis avec mise à l'épreuve est que la peine de prison encourue en cas de non-respect des mesures prises à l’extérieur ne peut pas excéder deux ans ou, si elle est inférieure, la durée de la peine d'emprisonnement encourue. La contrainte pénale est donc moins sévère. Le juge peut ajouter un travail d'intérêt général et une injonction de soin à la contrainte pénale, qui peut durer entre 6 mois et 5 ans. Le juge décide de tout : de son prononcé, de sa durée et de la durée de la sanction si la contrainte n'est pas appliquée.
Au niveau du contrôle, un bilan de la contrainte pénale doit être réalisé par le juge d’application des peines (JAP) au moins une fois par an. En cas de non-respect de la contrainte il existe une gradation des sanctions, du rappel à l'ordre à l'emprisonnement. Ce n'est pas le JAP qui décide de l'emprisonnement mais le président du tribunal de grande instance (TGI), pour éviter un recours devant le Conseil constitutionnel. Cette réforme pénale institut un contrôle accru des personnes condamnées avec sursis ou à la contrainte sous le contrôle du JAP. Aussi, elle modifie l’article 122-1 du Code pénal pour imposer une diminution d'un tiers de la peine en cas d'altération du discernement pour trouble mental. En outre, si le condamné commet, pendant la durée d'exécution de la contrainte pénale, un crime ou un délit de droit commun suivi d'une condamnation à une peine privative de liberté sans sursis, la juridiction de jugement peut, après avis du juge de l'application des peines, ordonner la mise à exécution de tout ou partie de l'emprisonnement fixé par la juridiction ayant prononcé la contrainte pénale.

Pour Jean-Yves Maréchal, « un des gros problèmes est la proximité entre la contrainte pénale et le sursis avec mise à l'épreuve ». Les juges vont-ils prononcer cette peine de contrainte à la place du sursis qui est très utilisé par les chambres correctionnelles ? En pratique, les peines de substitution sont très rarement prononcées. En 2010, sur 306 000 peines d'emprisonnement prononcées on ne recense que 17 500 peines de substitution. Il estime que « ce qui serait cohérent serait d'en faire une peine principale ».

La loi du 15 août 2014 instaure plusieurs mécanismes ayant pour objet de mieux encadrer le retour à la liberté des condamnés incarcérés. Le législateur se rappelle enfin que la justice pénale ne doit pas se contenter de punir mais aussi réinsérer. On souhaite que notre gouvernement s’en donne les moyens et que la contrainte pénale puisse y contribuer.

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