AccueilActualitéCrise économique de 2008, crise financière de 2020… du pareil au même ?

Crise économique de 2008, crise financière de 2020… du pareil au même ?

Pour l'actuaire Christian Walter, au-delà des différences il n'est pas impossible d'identifier des points de convergence. Une histoire de moyenne notamment. Certes, la crise économique de 2008 et la crise sanitaire de 2020 ne partagent pas grand-chose. Le virus financier ne ressemble pas à celui qui bouscule le monde depuis plus d'un an. Que penser de notre attitude face à ces deux situations ?
Christian Walter
© DR - Christian Walter

Actualité Publié le ,

C'est la réflexion que proposait récemment Christian Walter, actuaire et titulaire de la chaire Ethique et Finance à la Fondation maison des sciences de l'Homme (FMSH), durant une conférence organisée par le Gemass, unité de recherche de la Sorbonne. Dans les deux situations, observe-t-il, les risques restent pareillement envisagés. On tendrait à se référer à des modèles quasi-uniques, dont on ne peut discuter. D'un côté les théories d'Eugène Fama sur l'efficience des marchés financiers, de l'autres un manque de diversité dans l'approche des questions épidémiologiques.

L'analyse repose ensuite sur des indicateurs moyens, une volatilité des marchés, ou un désormais bien connu R0. Des indicateurs qui effacent l'hétérogénéité quand il s'agit d'approche statique, et les discontinuités dans une perspective dynamique. « Pourquoi se fonder uniquement sur des indicateurs moyens dans un monde qui ignore la moyenne ? », demande-t-il.

Risques et pollens

Une fois la crise entamée, un même comportement spéculatif semble avoir été adopté. « Spéculer, rappelle-t-il, c'est tenter de deviner l'avenir pour agir sur le présent ». Le terme revient plus fréquemment en finance, mais c'est aussi ce qu'ont fait, d'une certaine façon, d'après Christian Walter, les épidémiologistes lorsqu'il s'agissait de savoir si un confinement réduirait la mortalité. Problématique lorsque l'on se trouve berné par ce qu'il nomme l'« illusion d'une évolution brownienne des risques », du nom du botaniste écossais Robert Brown (1773-1858) qui pensait observer une diffusion uniforme et régulière des pollens.

A se réfugier derrière les moyennes, on s'exposerait ainsi « à de plus grands dangers que ceux que l'on veut contrôler », nuance-t-il cependant. L'idée n'est pas tout à fait de remettre en cause les modèles existant. La théorie de Fama en finance, expliquant que les marchés synthétisent énormément d'informations et qu'on peut les croire, a parfois trouvé à s'appliquer de manière saisissante. Les économistes Michaël Maloney et Harold Mullerhin peuvent ainsi observer à propos de l'explosion de la navette Challenger en 1986 que les marchés avaient compris avant la justice quelle entreprise avait fourni le composant défectueux, le cours de ses actions ayant immédiatement plongé.

Légitimité et bascule

Le propos de Christian Walter vise davantage à souligner que, dans un contexte d'incertitude, une pluralité épistémique demeure nécessaire pour être pertinent face aux risques. Un modèle fait des hypothèses, simplifie la réalité pour en comprendre une dimension parmi d'autres. Se contenter d'un seul, aussi pertinent soit-il, ne peut ainsi être satisfaisant. « Trouer le brouillard du monde pour du lisse conduit souvent à la catastrophe », explique le chercheur.

D'autant que, comme l'a rappelé au cours de la même conférence Juliette Rouchier, spécialiste d'économie cognitive, un modèle devient pertinent surtout quand on le croit pertinent. Le sociologue Bruno Latour avait notamment mis ce fait en évidence dans les années 1970 : une vérité se construit aussi socialement. Il y a toujours une période avant de passer de « tel chercheur soutient que… » à « on sait que… ». Cette bascule dépend souvent de la légitimité que l'on accorde au scientifique en question.

Fonder une démocratie technique

Les modèles simplifient la réalité, et l'opération reste nécessaire pour rentrer des phénomènes intelligibles. Juliette Rouchier cite ainsi l'écrivain argentin Jorge Luis Borges qui affirmait que « si on fait une carte exactement comme le territoire, on ne comprend pas grand-chose de plus que le monde réel ». La question est « comment est-on convaincu ? ». A la croyance parfois excessive en la pertinence de la moyenne, elle ajouterait celle que l'on place dans les modèles quantitatifs auxquels on octroie une forte légitimité. « On essaie de nous faire croire qu'ils sont plus rigoureux, mais le qualitatif nous permet aussi de capter des réalités non-triviales ». Le phénomène de prophéties autoréalisatrices par exemple, qui fait qu'un problème commence à exister à partir du moment où l'on croit qu'il existe. Si tout le monde pense par exemple qu'une bulle financière va éclater, alors celle-ci va véritablement éclater.

Derrière ces appels à un pluralisme des modèles à utiliser pour comprendre les risques, des modèles sur lesquelles peuvent reposer des décisions aussi puissantes (il n'est pas ici question de la pertinence des décisions mais de la façon dont elles sont prises) que celle de confiner une population, il y a pour ces chercheurs des enjeux pour fonder une véritable « démocratie technique ».

Trois questions à Christian Walter

Affiches Parisiennes : Qu'est-ce que le métier d'actuaire ?

Christian Walter : Je ne suis pas économiste, je ne suis pas épidémiologiste, pas spécialiste de la finance. Je suis actuaire. Mon domaine de compétence, mon métier, mon savoir-faire concerne la manière de modéliser les risques avec les mathématiques. Il y a des événements aléatoires, allant des tsunamis ou des tempêtes de sable au fait de ne pas se voir rembourser de l'argent qu'on avait prêté. Ma question est la suivante : à partir de signaux, que peut-on en dire du point de vue des probabilités ? Quel type de lunettes faut-il mettre sur le nez des individus pour observer des choses qui touchent au hasard ?

A.P. : Que les probabilités ont-elles à voir avec le monde du droit ?

C.W. : Si l'on regarde l'histoire des sciences, les probabilités, à l'époque de Pascal, se sont développées dans le milieu des juristes. C'est dans le droit que l'on a posé, au début, les conditions de l'émergence du probable. On mettait en place des arbres de possibles avec la logique « s'il se passe cela, alors il y aura telle conséquence, sinon telle autre conséquence ». La question ensuite était comment pondérer chacun des branches des possibles. C'est ainsi que l'on résonnait notamment pour évaluer des préjudices. Et c'est ce questionnement, ce « comment » qui manque à l'appel dans les débats contemporains.

A.P. : Que serait la démocratie technique que vous appelez de vos vœux ?

C.W. : Après la crise économique et financière, on a accusé les financiers, la cupidité, l'absence de morale, etc. Mais on n'a pas du tout examiné la question cognitive et le rôle des modèles mathématiques de risque. La pandémie financière de 2008 est aussi la conséquence de l'usage systématique de modèles mathématiques dominants. De la même manière, peu de diversité dans les simulations qui ont été utilisées par l'ensemble des gouvernements au niveau mondial en 2020. Toutes reposent sur un soubassement qui remonte à la fin du XIXe siècle, imaginé par des militaires anglais pour faire face à la peste en Inde. C'est un point insuffisamment discuté selon moi. Les modèles, c'est comme les destinations de vacances : on doit pouvoir en avoir des centaines et choisir. La question n'est pas de savoir si un modèle, est vrai ou faux mais de savoir si l'on a accès à plusieurs modèles pour choisir. En 2008 comme en 2020, cela n'était pas le cas. Pourquoi nous dit-on qu'il n'y a qu'une destination possible alors que l'on aimerait une liberté de choix ?

Propos recueillis par Boris Stoykov.

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