« Nous considérons que les institutions ont un rôle à jouer à condition qu'elles se rendent compte que ce qui est important, c'est leur utilité pour la profession. Dans cette période, nos conseils régionaux ont prouvé leur utilité en étant à disposition des confrères, en étant force de proposition auprès pouvoir publics, et en montrant ce qu'est notre profession », lance Lionel Canesi président du conseil régional de l'Ordre des experts-comptables (CROEC) Marseille Paca.
« Nous avons véhiculé l'image de la profession à travers la presse, alerté médias lorsque nous nous remarquions des imprécisions dans certains textes. Nous avons participé à une cellule de crise deux fois par semaine avec tous les acteurs économiques et politiques locaux », ajoute Odile Dubreuil, présidente du CROEC Rhône-Alpes. « C'est ce qui nous a permis de faire avancer choses au niveau régional et national ; tous les jours nous envoyions des mails d'information et de soutien à nos 2200 experts-comptables ».
La mobilisation de l'institution durant la crise a particulièrement marqué les esprits des professionnels du chiffre, mais aussi ceux des entreprises. « Nous sommes enfin devenus l'expert plutôt que le comptable auprès du grand public », estime Odile Dubreuil.
Le conseil supérieur et les ordres régionaux
Selon Laurent Benoudiz, président du CROEC Paris Île-de-France, il faut revenir à la lettre de l'ordonnance de 1945 pour répondre à la question de la répartition du rôle des différentes instances. Ce texte fait du Conseil supérieur l'interlocuteur entre les professionnels et les pouvoirs publics. Le Conseil supérieur doit donc, selon Laurent Benoudiz, faire en sorte que la profession soit reconnue, notamment en accentuant son travail de lobbying.
L'élu rappelle que le travail ordinal consiste, en région, à administrer et gérer les experts-comptables inscrits. « Les CROEC ont fait un job incroyable, stupéfiant. Certains ont imaginé des webinaires, lancé la plateforme d'appel d'experts-comptables pour répondre aux inquiétudes des chefs d'entreprises qui en étaient dépourvus. Nous avons beaucoup communiqué pour décrypter les mesures. Les professionnels se sont aperçus que le conseil régional était d'une grande utilité pour les cabinets indépendants, les gros cabinets pouvant faire appel à leurs spécialistes en matières fiscale, sociale, etc. ».
Et Hubert Tondeur, président du CROEC Lille Nord Pas-de-Calais, d'abonder en ce sens : « Un confrère issu d'un cabinet structuré, d'envergure nationale et internationale, a même salué notre travail. Bien qu'il ne soit pas concerné, il s'est rendu compte de l'utilité des cotisations lors de ces périodes et de l'aide que nous pouvons apporter dans une telle période ».
La décentralisation
Pour Lionel Canesi, la décentralisation, de plus en plus plébiscitée par les élus locaux, doit aussi s'appliquer aux professionnels du chiffre. « Le fait de centraliser les décisions dans un même lieu à Paris nous fait perdre en agilité. En région, nous connaissons les problématiques au plus proche, nous sommes capables de réagir vite », souligne le président du CROEC PACA. « Nous devions décrypter les textes pour que l'ensemble des professionnels puissent accompagner leurs clients, de manière bénévole pour la plupart. On ne le dit pas assez ».
Lionel Canesi rappelle également que les régions sont parvenues à « faire bouger les choses » sur différents sujets, tels que l'activité partielle et les PGE. « Nous étions écoutés à chaque réunion de crise organisée avec les autorités », témoigne-t-il.
Sur le sujet de la communication, l'élu ECF salue les efforts effectués vis-à-vis de la presse. « Alors que nous devions solliciter les journalistes, aujourd'hui ce sont eux qui nous appellent. Nous sommes identifiés comme les sachants, c'est-à-dire ceux qui sont capables d'avoir des positions pragmatiques ».
Comment appréhender, dans ce cas, les relations entre les ordres nationaux et régionaux ? Le conseil supérieur a deux missions essentielles, selon Lionel Canesi : faire du lobbying auprès des pouvoirs publics et de l'environnement économique (concernant notamment les projets et propositions de lois) et mutualiser les outils et les moyens au service des cabinets libéraux, qui représentent 95 % du total.
« Nous nous occupons de l'expert-comptable de son inscription à sa retraite. Pourtant, sur les 13 millions d'euros de cotisations collectés, plus de la moitié (7 millions) monte au conseil supérieur », souligne Laurent Benoudiz. Pour le président du CROEC francilien, il est nécessaire de réduire le poids du conseil supérieur pour permettre aux ordres régionaux de gagner en autonomie. « Nous devons en effet décentraliser pour que les régions soient les plus efficaces possibles », ajoute-t-il, estimant que le conseil supérieur doit être optimisé pour faciliter la coordination régionale.
Dans la même veine, Odile Dubreuil estime que le conseil supérieur n'a pas fait son travail de représentant des experts-comptables auprès des pouvoirs publics au début de la crise. « Nous avons dû monter au créneau pour faire remonter certaines informations parce que le conseil supérieur ne bougeait pas », souligne-t-elle, avant d'ajouter que la profession doit pouvoir compter sur des ordres régionaux forts et dotés de moyens en conséquence.
« Il faut toucher la population au plus près, ce qui compte c'est d'être pragmatique, d'expliquer que nous sommes les experts des TPE-PME. Nous sommes des chefs d'entreprises qui font bénéficier de leur expérience à d'autres chefs d'entreprises », souligne Lionel Canesi. Ce point de vue est partagé par Hubert Tondeur, qui estime que c'est la communication locale qui porte ses fruits.
Défendre l'exercice libéral
Pour Laurent Benoudiz, concernant l'avenir de la profession, ce n'est pas la demande des entrepreneurs qui pose problème, mais l'offre proposée par les professionnels du chiffre. « Contrairement à ce que le conseil supérieur considère, les clients sont prêts à prendre les missions que nous-mêmes sommes prêts à leur offrir. Il faut donner des clés aux cabinets pour leurs missions d'accompagnement et de conseil. Nous ne savons pas vendre les missions qui ne sont pas liées à une obligation légale. Ce n'est pas en faisant de la communication institutionnelle que nous allons résoudre le problème, mais en proposant un accompagnement au plus proche, pour aider les entreprises à passer ce cap difficile », insiste le président du CROEC Paris Île-de-France.
Il est donc nécessaire, selon Hubert Tondeur, de repenser l'organisation des cabinets. « Nous devons rendre à la coordination des présidents ses lettres de noblesse, ce sont eux qui ont au contact de l'environnement économique et des experts-comptables au quotidien ».
Et Laurent Benoudiz de conclure : « Nous devons défendre les petits cabinets si nous ne voulons pas voir disparaître l'exercice libéral, qui constitue l'un des principaux atouts de notre métier. Il faut que l'institution nationale aide tout le monde, y compris les petits ».