« Monsieur le Président,
Nous avons appris que vous devez recevoir très prochainement Monsieur Erdogan, Président de la Turquie. La Conférence des bâtonniers de France et d'Outre-mer, qui représente 163 barreaux, souhaite dès lors, attirer votre attention sur la situation des avocats turcs avec lesquels nous entretenons une solidarité active et confraternelle depuis plusieurs années.
Nombre de nos confrères de Turquie font l'objet de poursuites et plus de 560 d'entre eux (selon les derniers chiffres qui nous ont été communiqués) sont actuellement incarcérés, dans des conditions particulièrement difficiles comprenant, en particulier, un isolement les coupant de leur milieu familial mais rendant aussi difficile l'accès à leurs avocats. Pour certains d'entre eux, les procès durent depuis plusieurs mois, voire plusieurs années et les audiences de renvoi se renouvellent indéfiniment, ce qui les maintient dans une situation de grande vulnérabilité, tant sur le plan professionnel que sur le plan personnel. Certains n'ont pu avoir accès à leur acte d'accusation malgré leur incarcération depuis plusieurs mois.
Il leur est reproché, la plupart du temps, une complicité de terrorisme au motif qu'ils défendent des justiciables poursuivis pour terrorisme, étant précisé qu'en Turquie, la définition de ce grief est très large. Or, si un avocat peut être amené à défendre tout justiciable, quels que soient les crimes qui peuvent lui être reprochés, il défend la personne, jamais le crime en lui-même.
C'est pourquoi, les textes internationaux protecteurs des droits et des libertés rappellent constamment que les avocats ne doivent pas être assimilés à leurs clients. Si tel n'est pas le cas, toute défense devient impossible. Or une démocratie nécessite la présence d'avocats qui puissent défendre en toute indépendance et librement les droits et libertés individuels. C'est la mission spécifique des avocats face à la puissance publique. En accomplissant leur mission, les avocats ne combattent pas l'Etat mais contribuent, au contraire à la qualité et la justesse de son fonctionnement.
Lorsque des avocats ne peuvent exercer normalement leur profession en Turquie, les avocats français se sentent concernés.
Nous avons tous une norme juridique commune qui est la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et du citoyen ratifiée par la France, mais aussi par la Turquie. En faisant valoir ce droit en Turquie, nos confrères turcs contribuent à faire avancer le droit en France et en Europe.
Les avocats représentés par les 163 barreaux de la Conférence des bâtonniers sont extrêmement inquiets face à la situation actuelle de nos confrères en Turquie et face à la situation de la Justice en général, au regard de l'incarcération de plus de 2500 magistrats.
Pour nous, dans un Etat de droit, l'indépendance des juges est aussi nécessaire que celle des avocats, de même que la liberté de la presse.
La Conférence des Bâtonniers n'a ni qualité ni compétence pour émettre une appréciation sur la situation politique en Turquie et n'entend pas outrepasser ses compétences, mais elle entend soutenir fermement le Droit à une défense effective partout où les justiciables, et en particulier les plus faibles, peuvent en avoir besoin.
Nous souhaiterions dès lors, Monsieur le Président, que vous puissiez faire part de notre inquiétude au Président Erdogan ainsi que de notre solidarité professionnelle avec nos confrères turcs dans l'esprit du barreau.
En vous remerciant, par avance, de l'attention que vous voudrez bien porter à la présente.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, à l'expression de notre très respectueuse considération. »