« Nous avons le sentiment, comme Madame Taubira l’a récemment écrit dans une tribune publiée par un grand journal du soir, d’appartenir à une profession qui est « un bien de la démocratie ». Mais, à l’aune des critères marchands de performance, de productivité, de compétition, de prix, voilà que l’on fait croire que, pour accroître l’activité il faudrait dérèglementer la profession d’avocat. Le droit peut-être facteur de croissance et de développement, mais l’avocat au regard de ses missions ne pourra jamais être considéré comme un prestataire juridique ordinaire.
D’abord, je ne résiste pas au plaisir de rappeler aux auteurs de la loi sur la croissance et l’activité, ce que le philosophe et économiste anglais Adam Smith, qui a posé les bases essentielles du raisonnement économique, écrivait au XVIIIe siècle : « toutes les propositions de loi ou de réglementation du commerce proposées par la caste des marchands devraient être accueillies avec la plus grande précaution et ne devraient jamais être adoptées qu’après un long et méticuleux examen auquel il faut apporter l’attention la plus scrupuleuse mais également la plus suspicieuse ». En réalité, pas d’examen, pas de concertation. Sous l’œil de Bruxelles, il faut aller vite, très vite. Alors on transpose à la hâte une directive sans réflexion sur les sujets, sans étude d’impact, sans prise en compte des spécificités de la profession, sans cohérence. On amalgame la situation des uns et des autres pour mieux stigmatiser ceux qui refusent la nécessité de réforme ; on fait croire que la réglementation couvre des rentes de situation pour chercher un appui dans l’opinion publique.
Or, depuis qu’elle existe, la profession d’avocat est ouverte. Elle ne connait ni numerus clausus, ni limitation quelconque à l’installation. Elle est une activité libérale ouverte à la concurrence interne et étrangère. Elle ne connait ni entente ni position dominante. Elle s’est adaptée au monde moderne notamment en faisant face à la révolution numérique. Elle connait une très grande diversité de ses modes d’exercice en relation avec les besoins du marché.
Elle est en même temps une activité professionnelle qui, lorsqu’elle s’exerce dans la liberté et l’indépendance, est une des marques d’un régime démocratique. Cette règle fondamentale d’indépendance qui va de pair avec le caractère libéral de la profession est battue en brèche par le projet de loi relative à la croissance et à l’activité. »
Marc Bollet est ensuite revenu dans le détail sur les grandes mesures figurant dans le texte initial de la loi Macron.
Concernant la territorialité de la postulation
Pour lui, la territorialité de la postulation « c’est l’exemple parfait du sujet mal compris et mal appréhendé ». Le texte en prévoit la modification pour l’étendre désormais au ressort de la Cour d’appel. Pour le président de la Conférence des barreaux, « cette réforme peut sembler s’imposer à l’heure de la régionalisation et de la communication électronique, mais elle provoquera en réalité une désertification judiciaire par la disparition des petits barreaux dont les membres seront incapables de maintenir leur activité dans les régions peu peuplées. Cette partie du projet repose la question de la carte judiciaire et elle ne peut être traitée indépendamment de celle-ci ». Pour Marc Bollet, « cela va directement à l’encontre des objectifs poursuivis par le projet Justice du XXIe siècle qui avait l’ambition de rapprocher le justiciable de sa justice pour lui en faciliter l’accès ».
Concernant l’indépendance
Selon le président de la conférence, l’ouverture des capitaux extérieurs représentait un risque majeur de dépendance économique des avocats et de leur cabinet, de même pour l’exercice comme salarié d’entreprise : « Il est heureux que ces dispositions aient été retirées du texte par le Gouvernement qui s’est sans doute souvenu que la Cour de Justice des Communautés européennes a décidé que l’indépendance constituait une garantie essentielle pour le justiciable et le pouvoir judiciaire. » Même crainte concernant les professions du chiffre : « Il est aussi nécessaire de veiller à ce que le périmètre d’intervention des experts comptables, tel que défini par l’ordonnance de 1945, ne soit pas remis en cause. »
Concernant le respect de l’obligation de la convention d’honoraires
S’agissant du contrôle du respect de l’obligation de la convention d’honoraires, il est indispensable, selon Marc Bollet, « de donner d’abord compétence au Conseil de l’Ordre de vérifier le respect par les avocats de leurs obligations. Le contrôle par des agents de la DGCRF devra être strictement encadré pour préserver le secret professionnel. Le pouvoir d’enquête doit se limiter au seul accès à la convention d’honoraires et l’opération doit être effectuée en présence du bâtonnier. C’est dans ces conditions seulement que le secret professionnel sera préservé. »
Pour lui, l’annonce d’une loi sur le renseignement n’est pas forcément un bon signal : « Il faut une loi sur le secret, une grande loi, c’est une exigence démocratique. Il faut que cette loi protège, défende le secret en tant que règle de vie. Il faut aussi que cette loi garantisse le secret du bâtonnier, confident naturel de ses confrères, c’est une nécessité. »
Concernant la justice du XXIe siècle
La justice du XXIe siècle est également au cœur de l’action de la Conférence des barreaux. Selon son président, « on voit se dessiner une organisation judiciaire autour de pôles de compétence (trois décrets en 2014) justifiés par une rationalisation territoriale et matérielle de l’institution. En réalité, on fait ou on refait sans le dire la carte judiciaire. Sans nous. Peut-être contre nous… Il est aussi déterminant, pour la place et le rôle de l’avocat dans la Justice, que nous soyons écoutés et entendus sur nos propositions de réformes de fonctionnement. Tel n’a pas été le cas pour l’instant.
Concernant l’Aide juridictionnelle, Marc Bollet rappelle l’urgence de clore le dossier de son financement. Face à « l’indemnité dérisoire » actuellement fixée pour l’assistance des personnes auditionnées dans le cadre des auditions libres, « de nombreux bâtonniers ont décidé de ne pas organiser de permanence. Il est regrettable de se retrouver dans cette situation et il est temps que les pouvoirs publics, sur la base des propositions de la profession, prennent leurs responsabilités pour assurer enfin un égal accès au droit pour tous, ce qui, là aussi, est un impératif démocratique. »