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Concentration des médias en France

Les sénateurs de la commission d'enquête relative à la concentration des médias en France ont auditionné Pierre Louette et Jean-Baptiste Gourdin sur ce thème.
Concentration des médias en France
© Sénat

DroitActualité du droit Publié le , LILA DAOUI

Pour son deuxième jour d’audition, le 2 décembre dernier, la commission d’enquête du Sénat, chargée de « mettre en lumière les processus ayant permis ou pouvant aboutir à une concentration dans les médias en France, et d’évaluer l’impact de cette concentration sur la démocratie », a entendu Pierre Alouette. Président-directeur général du Groupe Les Échos-Le Parisien, propriété du leader mondial du luxe LVMH, est également président de l’Alliance de la presse d’information politique et générale (APIG), structure qui regroupe près de 300 titres de la presse quotidienne ou hebdomadaire.

La presse française opère dans un contexte de plateformisation des économies, avec de nombreuses sociétés qui jouent les intermédiaires entre les acteurs de la presse et des médias et le public. Les comportements, les modes d’accès à l’information et les modes de rémunération ont changé depuis 15 ans et continueront de le faire. La presse évolue donc dans une perspective longue, notamment avec la transformation digitale qui a un impact très puissant dans ce secteur. La place du papier dans la recherche de l’information décline face à l’explosion des achats en ligne. Conséquence, le modèle économique de la presse se transforme également. Comme l’a énoncé Pierre Louette, les revenus dans le secteur de la presse depuis 10 ans ont été divisés par deux.

Président-directeur général (PDG) de l’Agence France Presse (AFP) de 2005 à 2010, Pierre Louette a témoigné de l’importance de l’aide financière de l’Etat apportée à la presse, « une œuvre qui ne peut s’autofinancer complètement sur ce marché », de même que celle des investissements provenant de grands groupes industriels, reconnus comme des actionnaires solides, « capables de financer des investissements très longs et très lourds ». Pour le PDG, cet investissement répond même à un « devoir citoyen » et ne pas le faire serait une « catastrophe ». « Que ce serait-il passé depuis 15 ans, tous ceux qui ont investi ne l’avaient pas fait ? On aurait un grand désert de journaux dans ce pays », a-t-il commenté, ajoutant qu’il faut permettre aux gens qui ont un sens de l’intérêt général de le déployer au service de la formation de l’opinion.

Concentration et fabrication de l’information

Devant les sénateurs, Pierre Louette a estimé que le phénomène actuel de concentration « n’est pas inéluctable et a ses limites quand on voit l’organisation de la presse dans les territoires. Il y a des sous-ensembles géographiques qui sont constitués ». Questionné sur la possible modification de la « fabrication de l’information » en réaction à ce mouvement de concentration, le dirigeant a répondu par la négative. « Depuis 2008, je ne vois pas tellement à quel moment on dit que le journal Les Echos n’était plus celui qu’il l’était avant. Il a 112 ans, et il se porte bien. La rédaction est vibrante et très autonome. Donc il n’y a pas vraiment d’interventions. », a-t-il argué. Pour Pierre Louette, les actionnaires eux-mêmes veillent à la qualité de l’information, d’un produit qu’ils vendent, ce qu’est un journal. « S’il perd sa crédibilité, ça n’est pas bien. Là où la vertu rejoint l’intérêt financier, c’est qu’essayer de vendre un truc de plus en plus mauvais et qui est perturbé par des interventions, ça ne marche pas. », a-t-il ajouté.

Liberté d’action face aux actionnaires

Interrogé par David Assouline sur des conséquences « plus indirectes » liées à l’appartenance à un grand groupe, comme la possibilité que des reportages touchants « aux activités du groupe propriétaire » n’aient pas pu être diffusés, le dirigeant a admis ne pas être au courant « de tout de ce qu’il se passe » dans les nombreuses équipes sous sa responsabilité et au vu des « centaines d’articles » produits chaque jour. « Cela me paraît contredit dans les faits par ce qui est la règle absolue dans les journaux dont je m’occupe : à chaque fois qu’il fait mention d’une activité concernant l’actionnaire, il est indiqué propriétaire du Parisien ou propriétaire des Échos ». Pour Pierre Louette, qui ne croit pas du tout à l’idée d’un journal qui ne serait « détenu par personne », le lien capitalistique est nécessaire. A ce titre, il estime que l’appartenance à un grand groupe comme LVMH, qui paie plus d’1 milliard d’euros d’impôt et investit dans de nombreux secteurs d’activité, « n’est pas un mal, ni une tâche originelle. », mais plutôt un avantage.

Enfin, le rapporteur a demandé au dirigeant ce qu’il pensait de la loi de 1986, limitant les concentrations dans les mains d’un seul investisseur à deux types de support sur trois (télévision, radio et titre de presse quotidienne). « Je n’ai pas d’opinion très forte là-dessus. Cela n’a pas empêché les groupes de se développer », a répondu succinctement le dirigeant. Il est revenu sur une idée, qu’il a qualifiée d’« intéressante », formulée devant la même commission par Nathalie Sonnac, ancienne membre du CSA, consistant à « travailler à une façon de limiter la part du budget publicitaire qu’un même investisseur peut consacrer à un même support ».

Deux missions commandées à l’Etat

L’audition s’est poursuivie avec celle de Jean-Baptiste Gourdin, directeur général de la Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) du ministère de la Culture, en charge d’une mission de réflexion sur la concentration des médias en France, commandée à l’inspection des finances publiques et à celle des affaires culturelles. Cette mission doit rendre des préconisations s’agissant de la nécessité de modifier la législation sur la concentration dans les médias et le pluralisme, notamment.

La régulation de la concentration est un sujet de préoccupation pour le législateur et les Pouvoirs publics depuis la fin du monopole étatique et il est incontestable que nous connaissons une période de recomposition du paysage médiatique, marquée par un mouvement de plus forte concentration. Comme l’a expliqué Jean-Baptiste Gourdin, la concentration implique des enjeux économiques et industriels liés à la révolution numérique et qui ont des conséquences sur les usages et sur les modèles économiques des médias. Il s’agit notamment de l’accroissement et de la diversification de l’offre, l’accroissement corrélatif de la concurrence pour la captation des audiences et l’accès aux programmes les plus attractifs, de la transformation des modèles économiques et de la remise en cause des piliers traditionnels structurant les médias que sont la publicité et l’offre payante sous toutes ses formes. « Le consentement à payer pour l’information recule sous l’effet de la profusion d’une information gratuite disponible en ligne. Dans l’audiovisuel, c’est le contraire, on a une croissance des dépenses des ménages qui vont vers une offre de plus en plus fragmentée de proposition », a expliqué Jean-Baptiste Gourdin.

Mais la concentration des médias entraine aussi des enjeux politiques et démocratiques qui soulèvent des questions relevant du droit commun de la concurrence et d’autres plus spécifiques qui relèvent de la régulation sectorielle. Plus le paysage médiatique est concentré, plus fortement se pose la question de l’indépendance des médias. Comme le pluralisme, l’indépendance est multifactorielle. Elle peut viser celles des médias mais aussi des journalistes ou des rédactions, elle s’apprécie par rapport à l’Etat, aux actionnaires et à leurs intérêts économiques et immatériels, aux annonceurs, et plus largement par rapport à d’autres puissances économiques, comme les géants du numérique.

Un cadre législatif à réviser

Interrogé sur l’objectif attendu de la mission, le directeur général de la DGMIC a rappelé que « le point de départ, c’est le constat qui est partagé par un peu près tout le monde sur l’obsolescence du cadre actuel », ajoutant que, selon la lettre de mission reçue, il ne s’agit « ni d’assouplir les règles pour permettre plus de concentration ni de les durcir pour les empêcher ». Pour Jean-Baptiste Gourdin, comme les règles sont obsolètes, elles ne défendent pas efficacement le pluralisme, qui est un objectif à valeur constitutionnelle. Leur mise à jour pourrait alors conduire à caractériser certaines règles comme inutilement rigides au regard des réalités actuelles, à l’instar de « celles qui encadrent au plan quantitatif les autorisations hertziennes, alors même que ces autorisations n’ont plus le monopole de la diffusion audiovisuelle ».

Enfin, s’agissant du calendrier, Jean-Baptiste Gourdin a précisé que les conclusions de la mission seraient rendues au cours du « premier trimestre 2022 », soit concomitamment à celles du rapport de la commission d’enquête. Il a également exprimé que, pour une raison de sécurité juridique, « les préconisations issues de la mission, si elles devaient être mises en œuvre, ne s’appliqueraient pas aux opérations en cours ».

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