Comment bien informer les dirigeants sur leurs options et à quel moment les orienter vers une procédure amiable ? C'était l'une des principales problématiques de ce long webinaire. « L'objectif était aussi de réunir l'ensemble de la chaîne d'acteurs publics et privés des procédures collectives pour débattre de l'actualité », a aussi rappelé Olivier Buisine.
En effet, ce colloque s'inscrivait dans l'actualité du moment car « la loi prorogeant l'état d'urgence a permis au Gouvernement de passer des décrets concernant les entreprises en difficultés, comme la prorogation d'un certain nombre de dispositifs judiciaires, et la loi ASAP permet aussi de proroger des dispositifs de soutien aux entreprises jusqu'au 31 décembre 2021 », a souligné ce mandataire judiciaire tout en soulignant l'urgence de la période.
« On se prépare à des lendemains où beaucoup d'entreprises vont déchanter sévèrement », a confirmé l'administrateur judiciaire Frédéric Abitbol, selon qui les dirigeants en difficulté se sont précipités tête baissée vers des dispositifs de prêts bancaires qui vont entraîner leur surendettement.
Efficacité prouvée
« Le mandat ad hoc et la conciliation ont été conçus par le législateur en 2005 pour permettre aux entreprises de faire face aux difficultés de façon précoce », a rappelé Laura Sautonie-Laguionie, professeure de droit, avant de rappeler les critères légaux et pratiques pour pouvoir ouvrir une de ces deux procédures amiables.
Ainsi, l'article L611-4 du Code de commerce précise que pour entrer en conciliation l'entreprise doit être en difficulté de trésorerie ou en cessation des paiements depuis moins de 45 jours, tandis que pour le mandat ad hoc, les textes sont beaucoup moins précis. Peut-on admettre d'ouvrir un mandat en cas de cessation des paiements ? « Ça dépend des tribunaux de commerce car on peut voir dans le silence de la loi soit une permission du législateur soit que ça présuppose naturellement son absence », a répondu la professeure.
« Effectivement, l'article est très peu détaillé et tant mieux car ce qui caractérise le mandat est sa souplesse. Est-il encore pertinent de tout fixer par rapport à l'état de cessation des paiements qui n'est qu'une option comptable à mon sens », a souligné la jeune mandataire judiciaire Sophie Tcherniavsky, qui fait confiance aux professionnels pour apprécier si l'entreprise est viable, malgré la cessation des paiements.
Pour le moment, l'amiable ne représente que 6 % des procédures collectives françaises « ce qui pourrait spontanément sembler bien peu mais est en constante augmentation », a précisé la professeure. Un essor qui devrait se poursuivre car l'amiable est presque deux fois plus efficace en la matière, avec un taux de réussite situé entre 50 et 70 %, contre moins d'un tiers en procédures judiciaires. Parfois, les statistiques annuelles montrent qu'autant d'emplois ont été préservés par des procédures amiables que des procédures collectives, ce qui montre que ce sont les très grandes entreprises qui les utilisent pour le moment.
Ces procédures semblent ainsi être de bons outils, notamment dans le contexte de crise actuel. Elles doivent toutefois « demeurer courtes pour être efficaces et attractives » selon les intervenants.
« Le mandat ad hoc et la conciliation sont encore largement perçus comme une négociation financière bancaire alors que ce n'est pas que ça. On n'est pas le médiateur du crédit ! Nous pouvons tout négocier, notamment des délais supplémentaires pour les loyers commerciaux avec les bailleurs, mais aussi des échéanciers avec les donneurs d'ordres, les créanciers publics, etc. », a expliqué Frédéric Abitbol. Ce dernier en a profité pour saluer la mission flash confiée au président de la conférence générale des tribunaux de commerce avec la « volonté d'associer plus largement nos juridictions de commerce pour convaincre les chefs d'entreprise qu'on est là pour les protéger et pas simplement pour les enterrer ».
Les TPE-PME toujours exclues
Sophie Tcherniavsky souhaiterait d'ailleurs que les dirigeants en difficulté viennent d'eux-mêmes en conciliation et pas parce qu'ils sont convoqués par le tribunal de commerce. « C'est important que la démarche s'inverse », a-t-elle souligné.
« Ces procédures sont bien évidemment élitistes et je fais le constat amer que ce sont bien des entreprises d'une certaine taille, bien conseillées, qui y ont accès. En ce qui concerne les TPE-PME c'est le désert le plus total. Malheureusement elles sont pour le moment complètement exclues de ces schémas de l'amiable », a déploré Thierry Gardon, président du tribunal de commerce de Lyon.
Pour le juge, les sensibiliser « c'est la mission des tribunaux de commerce et pas celle des mandataires et administrateurs judiciaires » qui pourraient d'ailleurs être accusés de « clientélisme ». « Le Boucher du coin qui a trois salariés ne sait même pas que vous existez ! Et ce sont ces petits dirigeants qui m'intéressent aujourd'hui », lance-t-il à l'adresse des administrateurs judiciaires qui ont lancé un numéro vert (lire encadré ci-dessous).
La promotion des solutions amiables à destination des petites entreprises en difficulté relève donc de la fonction des juridictions consulaires qui doivent « se projeter dans les réseaux d'entreprises et les mouvements syndicaux ».
« C'est pour ces petites entreprises qu'il faut trouver des solutions car nous entrons progressivement dans une crise sociale et j'entretiens pour cela des relations avec l'ordre des experts-comptables », a déclaré Thierry Gardon, confirmant la solution proposée par la mandataire judiciaire Sophie Tcherniavsky.
« Il est effectivement nécessaire de démocratiser l'accès à ces procédures auprès des dirigeants de petites entreprises, surtout aujourd'hui, pour orienter ceux qui sont un peu démunis », avait-elle expliqué précédemment en soumettant l'idée que « les experts-comptables et les Ursaff aient une obligation d'information de leurs clients quand ils sentent que les ennuis arrivent », à l'image de ce que font les commissaires aux comptes avec les grandes entreprises. L'implication des Ursaff séduit davantage Frédéric Abitbol car les dirigeants de TPE visés n'ont souvent déjà plus d'experts-comptables lorsque les difficultés sont visibles car ils ne peuvent plus les payer depuis des mois. Pour lui, les entrepreneurs doivent surtout prendre le réflexe de « se tourner vers leur contact naturel en qui ils ont confiance », comme leur comptable, leur conseiller CCI ou CMA, leur avocat ou bien leur syndicat, dès que les premières difficultés font surface.
Les procédures collectives au creux de la vague
Si les chiffres actuels des procédures collectives françaises ne sont pas alarmants, et même très bas, ils risquent de connaître un accroissement progressif spectaculaire dans les années à venir.
Depuis le début de la crise de la Covid-19 en France, c'est-à-dire mars 2020, les tribunaux de commerce ont enregistré une chute de 40 à 50 % des procédures, en raison de la mise en place des prêts garantis par l'État, des prêts participatifs, des reports ou des annulations de charges ou encore de l'activité partielle.
« Il y a très peu de dossiers aujourd'hui, on vit une récession absolument épouvantable. C'est une situation totalement ubuesque ou les entreprises sont en grande difficulté, mais elles ne viennent pas nous consulter, elles vont souscrire des PGE ! », regrette l'administrateur judiciaire Frédéric Abitbol.
Le véritable problème selon lui est que « ce qui est déclencheur des procédures collectives est la crise de liquidité et qu'aujourd'hui on donne du cash à tout va », ce qui revient à « financer de la perte par de la dette », donc à créer du surendettement.
Ainsi, selon la Banque de France, en septembre dernier, le nombre de défaillances d'entreprise avait diminué de 30,5 % sur un an. Toutefois, cette baisse n'indique pas une réduction du nombre d'entreprises en difficulté mais à la fois l'impact qu'a eu la période de confinement sur le fonctionnement des juridictions commerciales, et les évolutions réglementaires qui modifient temporairement les dates de caractérisation et de déclaration de l'état de cessation de paiement.
« Actuellement, les entreprises sont soutenues. Elles ne vont pas forcément voir le tribunal de commerce car les textes de loi évoluent tous les 15 jours (fonds de solidarité rehaussé, mise en place de prêts pour les TPE-PME, PGE prorogés jusqu'à l'année prochaine). Elles préfèrent plutôt attendre, ce que je déplore. Il n'y aura pas à court terme cette vague de défaillances d'entreprise qui a été évoquée et prévue à l'automne. Elle s'étalera donc dans le temps et de manière progressive », explique Olivier Buisine, président de l'IFPPC.