Mercredi, magistrats, avocats et greffiers se rassembleront devant les tribunaux pour réclamer plus de moyens pour la justice, trois semaines après la publication d'une tribune criant souffrance au travail et perte de sens. Le gouvernement a lui défendu lundi son bilan, soulignant notamment une hausse du budget des services judiciaires de 18 % en cinq ans.
Le constat du manque de moyens alloués aux services judiciaires n'est pas nouveau. Pourquoi cette mobilisation aujourd'hui ?
Catherine Pautrat : On a atteint le bout de la dégradation de nos conditions de travail, un ras-le-bol et un épuisement collectif. Il faut un sursaut, car tout repose actuellement sur l'investissement et l'engagement professionnels de chacun.
Ce mouvement, né des jeunes générations, dénonce ce que j'appelle 'le taylorisme judiciaire', c'est-à-dire l'abattage: charge de travail, rythme, contraintes... A Nanterre par exemple, on a essayé de protocoliser l'organisation des audiences pour éviter de terminer à 3h du matin. On y arrive, on sort au plus tard à minuit, mais ce n'est pas satisfaisant.
"On a atteint le bout de la dégradation de nos conditions de travail, un ras-le-bol et un épuisement collectif."
Ces conditions entraînent chez ces jeunes magistrats un profond malaise de travailler en mode dégradé. Par rapport aux contestations précédentes, ce ras-le-bol est désormais conscientisé et collectivement exprimé par tous. Il fait écho à l'usure des magistrats plus anciens. Je constate depuis un an, à Nanterre, des demandes de départs à la retraite anticipée, des collègues qui jettent l'éponge à 62 ans, plutôt qu'à 65 ans.
Comment améliorer la situation ?
C. P. : Faire une pause dans les réformes, pour pouvoir remettre en perspective le sens de la place du juge dans la société et redonner du sens à ses missions. On est dans la logique de chiffres et de la performance alors que nous avons à vivre des réformes incessantes: j'ai compté 22 lois et 5 ordonnances à appliquer en cinq ans. Ce sont des réformes en profondeur, qui ne sont pas accompagnées.
Par exemple, il y a une réforme qui est tombée il y a 15 jours : celle des artisans. Pour la mettre en place, il a fallu transmettre les dossiers concernés au tribunal de commerce et vérifier qui était artisan et qui ne l'était pas en relisant 5 000 procédures, mais sans logiciel dédié. Cela en seulement deux semaines.
" Tant que nous n'aurons pas d'effectifs, nous n'arriverons pas à tenir des délais raisonnables."
Ces réformes complexifient notre travail, tous les trois mois on doit revoir notre organisation. Il faut nous laisser le temps de les mettre en oeuvre et de les évaluer plutôt que de faire une course précipitée à la réforme suivante.
Comprenez, nous ne sommes pas contre la réforme en tant que telle, mais nous sommes pour un vrai accompagnement opérationnel pour éviter de vivre dans un système de débrouille.
A Nanterre, quels sont les manques les plus criants ?
Conjoncturellement également. En théorie, nous devrions être 108 magistrats, mais nous tournons aux alentours de 100 du fait notamment de la vacance de postes. Je demande la création de 20 postes supplémentaires.
Pour les fonctionnaires, c'est aussi dramatique : les taux de vacance et l'absentéisme font qu'on se retrouve à 96 personnes qui manquent à l'appel, sur 450.
Tant que nous n'aurons pas d'effectifs, nous n'arriverons pas à tenir des délais raisonnables.