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Call a Lawyer, l'application qui réconcilie justiciables et avocats

Mathieu Davy, avocat associé au sein du cabinet Oriamedia et fondateur de l'association AvoTech, remporte en 2018 le prix de l'innovation de l'Incubateur du barreau de Paris pour son l'application mobile Call a Lawyer. Il revient sur la création de ce service innovant d'accès au droit et sur les résistances de certains avocats.
Call a Lawyer, l'application qui réconcilie justiciables et avocats

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Affiches Parisiennes : Comment vous est venue l'idée de Call a Lawyer ?

Mathieu Davy : Je suis avocat depuis une quinzaine d'années et je pilote un cabinet en propriété intellectuelle et nouvelles technologies. Il y a deux ans, j'ai eu l'idée de créer une application mobile pour simplifier l'accès à l'avocat, en réalisant que la profession était en difficulté, qu'elle se paupérisait un peu, elle a de plus en plus de mal à s'intégrer dans la société moderne.

Une partie de la population se détourne de l'avocat pour des raisons de coûts, d'accessibilité, parce que d'autres professions investissent le champ. C'est aussi dû à l'apparition de plateformes et à la génération millénium qui ne consomme pas le juridique de manière classique en allant prendre rendez-vous dans un cabinet d'avocat, mais qui va directement sur internet pour aller chercher leur réponse.

Il faut donc que les avocats soient sur internet et soient sur l'applicatif. C'est pour cela que l'on a créé un outil qui soit le plus simple et le plus accessible possible.

A.-P. : Pourquoi “Call a lawyer” ?

M.D. : Je peux avoir un avocat au téléphone en quelques minutes. Nous avons voulu créer un outil très simple et fonctionnel avec une offre unique, une consultation de vingt minutes au téléphone. C'est pour cette raison que nous avons créé une application mobile, pour passer du mobile du consommateur au mobile de l'avocat. Call a Lawyer permet à l'utilisateur de choisir dans notre base de 500 avocats.

A.-P. : Pourquoi ce format de vingt minutes ?

M.D. : Nous avons chiffré pour les particuliers, dans un premier temps, à 20 euros. Il fallait trouver un temps suffisamment long pour permettre un échange, c'est une mise en relation qualifiée pour poser les premières questions. C'est en cela que l'on se distingue d'un simple annuaire ou d'une simple marketplace.

Il ne fallait pas que l'appel soit trop long non plus, sinon on bascule dans le traitement d'un dossier avec l'avocat, impliquant la perception d'honoraires. Vingt euros pour vingt minutes, pour les particuliers, c'est un véritable prix d'appel qui veut démocratiser l'accès à l'avocat, mais si derrière une vraie relation devait s'entamer, de consultation juridique, de contentieux, de contrat, de tout ce qui peut faire un sujet en soi à savoir un « dossier », il y a une négociation tarifaire qui doit s'engager avec le client, et ce n'est pas notre affaire.

Pour les professionnels, c'est le même principe. Nous avions beaucoup de demandes de professionnels, parmi les particuliers, notamment des entrepreneurs. Nous avons aussi compris que les petites entreprises étaient très fragiles par rapport au juridique, qu'elles n'étaient pas conseillées, qu'elles n'avaient pas d'assistance juridique globale, pas de juriste en interne. Nous avons donc décidé de nous adresser à cette cible.

Nous avons construit deux abonnements : un premier abonnement d'appel, à 14,90 euros par mois, qui permet de réaliser un call par mois. Cette offre peut s'adresser à des étudiants, des auto-entrepreneurs ou
à des dirigeants de micro-entreprises et de start-up en début d'activité. Et puis on a une offre plus mature, dite « illimitée », à 69 euros les trois premiers mois de lancement, puis 99 euros ensuite. La possibilité de faire des calls de 20 minutes est alors illimités, dans toutes les matières du droit, sur l'intégralité de notre base d'avocats

Bien sûr, l'offre reste périmétrée pour des appels de vingt minutes, car nous restons sur un service de mise en relation. On veut rapprocher le justiciable, qu'il soit professionnel ou particulier, de l'avocat, avec des offres attractives et qui permettent au client d'être rassuré. Ces vingt minutes permettent déjà de savoir si on est en train de prendre une mauvaise décision, d'avoir une première orientation.

A.-P. : Les avocats doivent-ils payer pour être dans cette base ?

M.D. : Nous avons un positionnement différent de la concurrence, qui tient peut-être au fait que je suis moi-même avocat. Pour moi, les avocats ne sont pas des clients. Les consommateurs payent pour le service, et on fait en sorte d'avoir un coût accessible, assez bas. C'est l'enjeu des legaltech d'ailleurs, de manière plus générale.

L'avocat est un partenaire, l'application repose sur lui. En revanche, nous sélectionnons les avocats. Comme le service est gratuit, il est plutôt plaisant, donc les avocats nous sollicitent. Aujourd'hui, nous réunissons des avocats de toute la France. Leur inscription est validée : nous vérifions qu'ils sont bien avocats et leur spécialité s'ils la précisent. Une petite équipe d'avocats, en interne, contrôle.

Ce n'est pas une sélection au mérite ou à l'excellence, mais l'idée est tout de même de vérifier que l'avocat est compatible avec le service. Faire des call de vingt minutes n'est pas un exercice facile. C'est d'ailleurs pour cette raison que l'on n'accepte rarement de tout jeunes avocats, parce que l'on estime qu'ils n'ont pas encore assez d'expérience pour pouvoir traiter rapidement, directement, ces demandes immédiates.

Et puis cette sélection nous donne aussi l'occasion de nous séparer d'un avocat qui aurait un mauvais comportement, qui ne ferait pas les vingt minutes, qui se contenterait de prendre des rendez-vous via l'application. Nous prévoyons une évaluation après les entretiens : nous demandons au client si l'avocat a bien assuré les 20 minutes, s'il a été bien orienté, et s'il recommande cet avocat. Ces trois questions produisent une note sur cinq étoiles. Si le client accorde cinq étoiles, c'est d'ailleurs la majorité des cas, cela permet à l'avocat d'être recommandé. Par exemple, il est indiqué sur la fiche d'un avocat qu'il a fait 18 call et qu'il a été recommandé 16 fois.

En revanche, s'il y a des notes en dessous de deux ou trois étoiles, nous essayons de comprendre, nous en discutons avec l'avocat et le client, puis nous arbitrons.

Il n'est pas garanti que l'entretien de 20 minutes donnera lieu à un dossier. C'est l'aléa commercial. Et puis ça dépend aussi de l'avocat. Dans la base, une avocate a par exemple “transformé” 18 appels sur 20 en dossier. C'est une combinaison de plusieurs éléments. Je pense qu'elle est rassurante, pertinente, mais je pense aussi qu'elle a un sens du développement de la clientèle. C'est ce que l'on souhaite à tous nos avocats. Le but du jeu c'est de les aider à convaincre les clients qu'ils ont au téléphone de les rejoindre.

A.-P. : Le fait d'être avocat peut-il être un frein lorsque l'on fonde une legaltech ?

M.D. : J'ai la chance de faire partie du barreau de Paris. Le barreau de Paris s'est doté d'un incubateur depuis 2014, afin de s'ouvrir à l'innovation et notamment à l'innovation venant des confrères. Le principe de l'incubateur dans un premier temps était de réfléchir à la mutation du digital dans la profession. Le prix de l'incubateur, qui récompense chaque année une legaltech créée par les avocats, et que nous avons remporté l'année dernière, est soumis aux votes des avocats pendant les élections ordinales. C'est une manière d'associer de manière très démocratique les avocats.

Aujourd'hui, l'incubateur incube, physiquement quatre projets par an. Il y a vraiment un lien entre le barreau de Paris et les créateurs de legaltech dès lors qu'ils sont avocats. De mon point de vue, je n'ai pas eu de difficultés. J'ai discuté avec les instances, j'ai travaillé avec les différents interlocuteurs. Je travaille aussi avec le Conseil national des barreaux, qui se saisit des questions du numérique. Il y existe même une commission du numérique au sein de laquelle je suis expert. Christiane Féral-Schuhl a très clairement donné un axe digital à son mandat.

Le CNB a construit une plateforme, « avocat.fr », qui est une plateforme de consultation d'avocats, sur laquelle tous les avocats ont le droit de s'inscrire gratuitement. On pourrait d'ailleurs la considérer comme une des premières legaltechs de France, fondée de manière institutionnelle. Elle démocratise l'accès à l'avocat par le numérique. Le CNB a compris que les outils de développement numérique devenaient essentiels pour les avocats.

On peut en revanche rencontrer des résistances locales. L'avocature n'est pas unique, elle est représentée régionalement par des barreaux, il n'y a pas d'uniformisation du digital. En ce sens j'ai la chance d'être au barreau de Paris qui a donné une vraie impulsion digitale. Il y a des barreaux beaucoup plus conservateurs. C'est souvent lié aux élus, donc les choses peuvent évoluer.

C'est aussi pour cela que j'ai créé Avotech, à côté de Call a Lawyer. J'ai voulu créer une association qui rassemble tous les avocats créateurs de legaltech. Il y a un an, j'ai constaté que nous étions une dizaine d'avocats à avoir, en application du fameux article 111 du “décret Macron”, créé une start-up. Nous avons une vision du numérique, nous sommes des entrepreneurs-avocats et nous construisons des outils qui servent les justiciables, mais aussi les confrères.

Dans la mesure où nous rencontrons des résistances souvent stériles, l'idée est donc de se réunir pour former une seule voix. Depuis un an, nous nous rendons à des conférences partout en France, dans des écoles d'avocats, dans des universités et des écoles de commerces, afin « d'évangéliser ». Aujourd'hui, nous sommes plus de 40 avocats, dans toute la France, sur plus de douze barreaux différents, à démontrer que l'on peut créer une legaltech et un service innovant.

Pour reprendre le propos de Kami Haeri, « le numérique n'est pas une option », ce n'est pas un choix. Les avocats ne peuvent pas décider que le numérique n'envahira pas la profession. Les résistances tombent assez rapidement. En revanche, nous comprenons l'inquiétude des confrères. Nous sommes là pour les rassurer et leur expliquer que nos outils sont là pour aider à reconquérir une clientèle et rapprocher le justiciable de l'avocat.

A.-P. : Quelles critiques ont été soumises par les avocats pour votre application ?

M.D. : Ce que l'on m'a objecté concernait la question des 20 euros pour 20 minutes. «Vingt euros pour vingt minutes, c'est vraiment low cost, ce n'est pas vraiment l'image que j'ai de l'avocat », ce type de discours conservateur d'avocats qui, en fait, n'arrivent pas à comprendre. Ils se disent que l'on traite l'avocat comme on traite les VTC, les livreurs etc. C'est du service commercial.

Le drame de notre profession, c'est que l'avocat ne se mette à la place du client. Les clients se fichent de la grandeur de la robe, ils veulent avoir accès au droit et à des professionnels qui les défendent. Pour eux, le monde est un monde digital, un facilitateur. Les avocats n'échapperont pas à ça. Cette complexité, les avocats l'ont construite : on s'est rendus trop cher, trop inaccessibles, reclus dans nos cabinets. Il faut sortir dans les entreprises, les espaces de start-up, communiquer et remettre l'avocat au cœur de la cité. Le web en est l'illustration majeure.

Les legaltechs sont des opportunités dès lors qu'elles sont pensées par des professionnels. Elles vont pouvoir reconquérir des marchés, reconnecter les avocats et les justiciables et réconcilier les deux parties, parce qu'il y a eu un phénomène de rupture. Le digital permet de replacer les professionnels au centre, tout en provoquant des offres plus accessibles, disruptives. Le numérique, c'est l'accès, ce n'est pas le remplacement.

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