AccueilActualité« Aujourd'hui, gérer une association, c'est quasiment comme gérer une entreprise. »

« Aujourd'hui, gérer une association, c'est quasiment comme gérer une entreprise. »

Avec l'entrée dans le mois de l'Economie sociale et solidaire (ESS) se pose la question de la santé du monde associatif. A l'occasion du 10e anniversaire du Forum des Associations, qui s'est tenu le 21 octobre au Palais des Congrès, Affiches Parisiennes a rencontré Michèle Lorillon, associée responsable nationale du marché associations chez In Extenso, un grand cabinet d'expertise comptable spécialisé dans le monde associatif depuis 2001.
Michèle Lorillon, associée responsable nationale du secteur associatif chez In Extenso
Michèle Lorillon, associée responsable nationale du secteur associatif chez In Extenso

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Affiches Parisiennes : Depuis combien de temps êtes-vous spécialisée dans les associations ?
Michèle Lorillon : J’ai un parcours un peu atypique puisque j’ai passé quatre ans de mon expérience professionnelle au sein d’un Conseil général dans un service de tarification des établissements médico-sociaux où j’ai côtoyé beaucoup d’associations. Ce qui m’a poussé à me spécialiser dans ce secteur.

A.-P. : Vous avez donc pu observer l’évolution du monde associatif ces dernières années. Quels sont les grandes difficultés et les principaux enjeux auxquels il est confronté ?
M. L.
: Le monde associatif est aujourd’hui confronté à une importante évolution. Ce ne sont même pas des changements mais plusieurs grandes mutations. La première, quelle que soit l’association, est celui du financement. Avec la crise bien sûr, et les difficultés de l’Etat et des collectivités territoriales, on tend vers une diminution, une raréfaction ou en tout cas une stabilisation des subventions publiques. Ainsi, les associations doivent diversifier leurs ressources. Pour les très grosses structures qui sont bien organisées, il n’y a pas de soucis, mais pour les associations dites intermédiaires et les petites, c’est beaucoup plus compliqué. On va parler de mécénat, de dons, de crowdfunding et de prestations proposées aux usagers, mais ces petites associations ne sont pas « staffées » pour répondre immédiatement à ce changement. Deux enquêtes de 2005 et 2012 montrent qu’il s’agit de la première préoccupation des associations. Le second niveau de mutation est celui du bénévolat. Il faut de suite écarter l’idée reçue qu’il y a moins de bénévoles, ce n’est pas vrai. Il y en a autant, voire plus qu’avant, notamment chez les jeunes. Sauf que le bénévole d’aujourd’hui n’est pas du tout le même qu’il y a 10, 15 ou 20 ans. Le bénévolat n’est pas un sacerdoce, les jeunes s’engagent sur un projet, à court ou moyen terme, et c’est le projet qui les intéresse et pas forcément l’association. En revanche, il y a un véritable souci de renouvellement de gouvernance des dirigeants d’association et de management des bénévoles.

A.-P. : Que faire pour améliorer la gouvernance des associations ?
M. L.
: Aujourd’hui, gérer une association, c’est quasiment comme gérer une entreprise. Il faut que les associations arrivent à trouver un mode de « management » des bénévoles, et notamment des bénévoles dirigeants, pour essayer de les alléger, trouver des organisations sous forme de commissions, et mieux répartir les responsabilités. En fait, ce qui fait peur aujourd’hui, en dehors du temps à consacrer, c’est la lourde responsabilité du président. Les associations doivent donc se professionnaliser. Elles ont déjà commencé ce processus depuis 2005, mais désormais, on entre vraiment dans une période où il faut qu’elles soient professionnelles.

A.P. : A quel point les subventions de l’Etat ont-elles diminué ?
M.L.
: Sur les dix dernières années, le pourcentage des financements publics dans les budgets des associations s’est inversé. Avant, ils étaient prépondérants, autour de 51 à 52 %, alors qu’aujourd’hui, ils sont à peine à 49 % et c’est la part privée des ressources qui a pris le pas. C’est une vraie mutation car notre pays est historiquement tourné vers un financement public.

A.-P. : La France compte beaucoup d’associations alors comment les aider ?
M. L.
: A peu près 75 000 associations se créent chaque année. Nous avons enregistré une forte chute en 2010, mais ça reprend tout doucement. Donc, sur le gâteau à se partager, les parts sont plus petites. Du coup, il y a une certaine concurrence entre des associations qui doivent se démarquer. Elles se mettent sur les réseaux sociaux afin de mieux communiquer et attirer aussi bien des donateurs, des entreprises que des bénévoles.

A.-P. : En tant qu’experte, donnez-vous des conseils sur le droit social et les ressources humaines des associations ?
M. L.
: Le cabinet In Extenso accompagne les associations sur tout ce qui est législation, puisque c’est notre cœur de métier. On les accompagne pour tout ce qui est social, on fait des paies, on les aide sur le respect du droit du travail. En termes de recrutement, on peut les aider mais ce n'est pas notre cœur de métier, des sociétés font ça bien mieux que nous. Si on essaie de mettre certains CV à disposition des associations, on est beaucoup plus sur le respect de la législation (paies, déclarations sociales, contrat de travail, licenciement...).

A.-P. : Donnez-vous des conseils sur la compliance ou la corruption ?
M. L.
: On donne des conférences sur les risques. On essaie d'indiquer aux associations les risques qu'elles encourent lorsqu'elles n'ont pas les bonnes pratiques. On conseille souvent les plus grosses associations sur tout ce qui relève des contrôles internes. On ne parle pas de corruption car ça fait toujours un peu peur. C'est comme partout, 80 % des associations fonctionnent très bien et il y a 20 % de brebis galeuses. Toutefois, on leur rappelle, par d'autres types de conférences, qu'il faut respecter un certain nombre de règles et se prémunir en termes de responsabilité.

A.-P. : Avez-vous remarqué un effort des associations sur leur transparence ?
M. L. : Oui, vraiment. En fait, la transparence des données financières va de pair avec la professionnalisation. Aujourd'hui, les associations sont obligées de devenir transparentes. Elles ne peuvent pas y déroger, que ce soit vis-à-vis de leurs financeurs, de leurs donateurs ou de leurs membres. Des outils ont été mis en place, tels que la publicité des comptes et la nomination d'un commissaire aux comptes lorsqu'il y a plus de 153 000 euros de dons ou de subventions. D'ailleurs, on essaie de mettre en avant la signature de l'expert-comptable qui permet à l'association, même si elle n'en a pas l'obligation, d'afficher une transparence puisque les comptes sont vus par un expert.

A.-P. : En quoi le secteur associatif français reste-t-il très éloigné de la culture associative anglo-saxonne ?
M. L.
: En France, on a une culture très jacobine, l'Etat fait tout, alors que dans la culture anglo-saxonne, l'Etat est beaucoup moins présent. Pour les associations c'est la même chose. Il existe des associations anglo-saxonnes qui ne vivent que de fonds privés, ce qui n'est pas le cas chez nous puisque l'Etat finance plus de 40 % du budget des associations. Voilà la grande différence. Après, en termes de transparence, on est au même niveau, la seule différence est que l'association anglo-saxonne est essentiellement basée sur la communication car elle doit attirer des fonds privés, notamment d'entreprises. En outre, les entreprises anglo-saxonnes, dont les PME, ont très vite compris l'importance de la RSE et de la philanthropie et investissent davantage dans les associations que chez nous.

A.-P. : Avez-vous senti l’impact de la crise économique sur les associations ?
M. L.
: Oui, on le ressent sur deux niveaux. Au point de vue financier, on constate des fermetures d’associations. Et au niveau organisation, on voit un fort regroupement de celles-ci. Ce n’est pas nécessairement lié aux contraintes budgétaires mais surtout aux contraintes de gouvernance, à la réforme territoriale et à la professionnalisation accrue du secteur associatif. Il y a un décalage de deux ans sur l’impact de la crise économique. La crise des associations se passe plutôt en ce moment, elle n’a commencée qu’en 2010. On a constaté depuis une forte baisse de la création d’associations et une chute de l’emploi dans le secteur associatif. On commence à voir ses chiffres remonter, parce qu’il y a des besoins que personne d’autre ne peut prendre en charge. Le secteur associatif ne mourra jamais tel qu’il est conçu car il faut bien s’occuper d’un certain nombre de pans de l’économie sociale que l’Etat ne prend plus en charge.

A.-P. : Qu’en est-il des deux enjeux majeurs actuels, que sont la DSN (Déclaration sociale nominative) et la complémentaire santé, pour les associations employeurs ?
M. L.
: Pour la complémentaire santé, dès 2016, une association qui n’a qu’un salarié devra mettre en place une mutuelle pour celui-ci. Vous imaginez la complexité de ce dispositif ! Nous les aidons sur ce sujet avec notre partenaire Chorum, avec des conférences et des documents écrits pour les sensibiliser et les préparer. Pour la DSN, nous sommes aussi en première ligne, parce que toutes les associations qui nous confient leurs paies rentrent dans le processus de la déclaration sociale nominative qui devient obligatoire en phase 2 au 1er janvier. La DSN est plus qu’une télétransmission, c’est un changement de méthode qui consiste à transmettre à l’administration un fichier correspondant à la fiche de paie. Cela induit une bonne organisation et la vérification des données qui vont être transmises. Ça va rigidifier un peu le système des associations. Avant, elles pouvaient attendre la fin de l’année pour faire des régularisations, maintenant, les régularisations vont se faire chaque mois. Nous avons un devoir de conseil envers tous nos clients, même ceux qui ne nous confient pas la paie. Nous les sensibilisons et voyons avec leur éditeur de logiciel de paie si tout est mis en place.

A.-P. : Les associations sont-elles prêtes à passer ces deux caps ?
M. L.
: Globalement non, mais parce que les employeurs, en général, ne le sont pas. Le 1er janvier, c’est demain, et on est loin d’avoir la totalité de nos clients en DSN. C’est compliqué. C’est un gros challenge car les associations doivent faire face en même temps à la DSN, à la complémentaire santé, et à la diminution des subventions d'Etat, mais aussi, à l’ajout de charges supplémentaires.

A.-P. : Comment les associations peuvent-elles diversifier leurs ressources pour faire face?
M. L.
: Aujourd’hui, les associations doivent se transformer, notamment faire de la communication et devenir « sexy ». On réfléchit à leur faire développer d’autres modes de financement, et voir comment elles peuvent réduire certains frais. Le remède est de proposer aux usagers des prestations « payantes », tout en restant dans les clous de la fiscalité ; inciter les usagers à participer davantage ; faire appel au crowdfunding sur des projets bien particuliers ; solliciter des entreprises, ce qui est très difficile pour les associations de taille moyenne ; et essayer de négocier avec les financeurs publics quand c’est possible.

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