En partenariat avec l’Association française des juristes d’entreprise (AFJE), Paris Place de droit et l’Association des juristes franco-britanniques, le Cercle Montesquieu a organisé, le 9 mars dernier, au Tribunal de commerce de Paris, un colloque intitulé « France/Royaume-Uni : un nouveau départ ?Le Droit, outil de coopération outre-Manche ».
Organisée dans le sillage de la venue du Premier ministre britannique Rishi Sunak en France, et dans la perspective des relations entre les deux pays après le Brexit, mais aussi de la place que le droit et les juristes entendent jouer, cette table ronde a débuté par une remise en contexte opérée par Paul-Louis Netter, président du Tribunal de commerce de Paris, Matthias Fekl, avocat, associé et fondateur de Duprey-Fekl, et Alexandre Holroyd, député des Français de l’étranger.
« Le droit des affaires est celui issu de la Common Law »
« Le droit est un outil de coopération outre-Manche, mais aussi d’attractivité économique. Sur ce dernier point, la Grande-Bretagne et les pays anglo-saxons ont compris bien plus rapidement que nous, le pouvoir d’attraction du droit sur les activités économiques, au point de parvenir à formuler l’égalité suivante : le droit des affaires est celui issu de la Common Law », a indiqué Paul-Louis Netter.
Toutefois, il a rappelé que les choses avaient changé, depuis le Brexit notamment, avec la création d’une ligne de juridiction à Paris formée par les Chambres internationales spécialisées du Tribunal de commerce et de la Cour d’appel, ainsi que l’instauration de modifications procédurales à droit constant. « Nous sommes convaincus de l’importance du droit et de son attractivité économique, qui est de plus en plus grande. Nous sommes aussi persuadés de la pertinence et de l’adaptabilité de notre modèle, y compris procédural. Enfin, nous sommes conscients de nos atouts, qui ont jusqu’ici été peu exploités, mais nous savons que notre action s’inscrit dans le temps long », a confié avec espoir le président du Tribunal de commerce de Paris. Pour conclure, il a expliqué croire à la multiplicité des voies de droit, comme à celle des chemins procéduraux, puisque « nous appartenons profondément à la même famille, celle qui s’est donnée le droit pour règle ».
La concurrence, un levier vers l’excellence
Pour rebondir sur ces propos, Alexandre Holroyd a évoqué le lien entre la France et le Royaume-Uni, unis par des valeurs communes et par une même conception de l’architecture du monde d’aujourd’hui. Ainsi, il a rappelé les objectifs à venir pour tourner la page du Brexit : « relancer les relations franco-britanniques, renforcer les partenariats dans les domaines stratégiques et poser une pierre d’une nouvelle ère de coopération stratégique ». Pour Matthias Fekl, « la relation doit se poursuivre, en ce qui concerne la place de droit, la concurrence n’a rien de choquant, elle est parfaitement légitime et très bénéfique, parce qu’elle forcera chacun des deux côtés de la Manche à montrer le meilleur de soi-même ».
Conscients de l’importance du droit comme « facteurs économiques et d’attractivité », selon Matthias Fekl, la France et le Royaume-Uni « veulent ainsi créer un environnement normatif aussi accueillant que possible pour l’investissement étranger », mais aussi « pour le règlement des litiges internationaux », puisque les deux pays ont deux grandes Cours d’arbitrage. Toutefois, il a rappelé que les deux pays « défendent des valeurs communes, et ont beaucoup à faire ensemble ».

France vs Royaume-Uni : le rayonnement du droit anglais en commerce international
Après l’introduction, les invités du colloque ont pris place autour de Laure Lavorel, présidente du Cercle Montesquieu, qui a tenu le rôle « d’arbitre » dans ce match France-Angleterre.
Pour Catherine Pedamon , directrice de Programme des Masters en droit commercial international, en finance d'entreprise et en résolution des litiges commerciaux internationaux, « le droit anglais est un outil de croissance économique, avec une volonté de rayonnement au niveau des activités juridiques et judiciaires, qui révèle véritablement d’une stratégie globale d’influence du droit par le droit. Elle s’inscrit maintenant dans une ambition politique, le « Global Britain », qui a pour objectif d’étendre le rayonnement international du Royaume-Uni ». Elle a ensuite accentué ses propos à partir d’un récent rapport commandé par le Premier juge britannique, qui a révélé que le droit anglais génère des milliards de livres en activités commerciales au niveau national et international. « Plus de 15 % de la production juridique est exporté, c’est une balance très bénéficiaire », a rajouté Catherine Pedamon. Elle a également indiqué que « le droit anglais est le droit préféré en matière de transactions commerciales internationales, pour deux raisons, une approche très économique qui découle des transactions économiques ».
Pour sa part, Jean-François Le Gal, associé au sein du bureau de Londres du Cabinet Pinsent Masons LLP et barrister, a vanté la formation des magistrats anglais, qui sont dans 95 % des cas des anciens avocats. Il a aussi ajouté que « les jugements sont publics au Royaume-Uni, donc on peut voir le raisonnement ». La Chambre internationale est également, selon lui, « plus riche et diversifiée de l’autre côté de la Manche » et l’efficacité des procédures en Angleterre est meilleure, « puisque la voie de recours n’est pas automatique et permet de raccourcir les durées ».
Côté français, coûts réduits et relation de confiance avec les clients
Toutefois, « Paris n’a pas à rougir de Londres », selon Gabriel Hannotin. « C’est aussi une place sophistiquée, qui bénéficie d’un très grand nombre d’avocats, avec un très grand niveau d’expertises, notamment sur les fiches complexes, mais également un grand nombre d’experts et des juridictions qui ont des expertises très poussées et spécialisées ». Pour l’avocat, la France a de nombreux avantages, financiers tout d’abord, puisque « les contentieux coûtent cinq à dix fois plus » de l’autre côté de la Manche. Par ailleurs, comme l’a indiqué Christian Weist, « contrairement aux juges anglais, qui sont proches des avocats, nous nous sommes proches des parties et des entreprises. Nous attachons une grande importance au débat et à l’expression de chaque partie, en posant beaucoup de questions, instaurant ainsi un climat de confiance permettant au juge d’aller au fond du litige et de comprendre l’opinion de chacun ».
Un autre point a été mis en avant, la possibilité en France de faire appel d’une décision et même d’aller en cassation, ce qui est « extrêmement rare, voire inexistant en Angleterre ». Gabriel Hannotin, a également parlé de l’absence de Disclosure, « au Royaume-Uni, l’entreprise doit communiquer les documents qui sont adverses à la Cour, c’est très surprenant pour un avocat français, notamment pour la confidentialité ». Pour finir, Christian Weist a ajouté : « En France, nous avons une meilleure visibilité sur l’ensemble des procédures, y compris les dates de jugement ». Toutefois, il a reconnu qu’il fallait se rapprocher de certaines méthodes anglo-saxonnes, qui pratiquent l’arbitrage.
Et Jean-François Le Gal de conclure : « Droit anglais, droit français, deux slogans : liberté, égalité, fraternité, contre flexibilité, prévisibilité et stabilité, mais si vous avez un problème juridique à régler ? Vous regardez le code civil, et surtout les décisions précédentes de la Cour de cassation, donc la dichotomie entre les deux pays me paraît en fait assez artificielle ».
L’Irlande, le joueur manquant
Après plus d’une heure de débat, l’arbitre Laure Lavorel n’a pas pu trancher la question. « Mon cœur balance, je ne sais pas quelle juridiction choisir entre la France et le Royaume-Uni », a-t-elle souri. Elle a ensuite rebondi sur le fait qu’aucun des intervenants n’a évoqué l’Irlande. « Ce pays a lancé, en 2019, une initiative « Ireland for Law », avec des arguments très forts : un droit de « Common Law », une langue qui est l’anglais, et un pays qui est membre de l’Union européenne », a indiqué la modératrice, plaçant l’Irlande dans un rôle d’outsider. Pour tempérer et conclure, elle a tout de même reconnu dans ce pays, un « problème avec les données personnelles ».