Affiches Parisiennes : Comment vous décrire ?
Alain Geus : Je suis quelqu'un d'atypique puisqu'au début, je me destinais à être chirurgien, mais mes performances en mathématiques ont eu raison de moi.
A.-P. : Alors pourquoi le droit ?
A.G. : Je me suis finalement dirigé vers le droit car j'envisageais d'occuper un poste de secrétaire général de mairie. A l'époque, je travaillais pour la direction de l'urbanisme de la commune de Montreuil, en suivant mes études.
Au bout d'un moment, j’ai réalisé que la carrière dans l'administration ne m'allait pas. Arrivé en fin de deuxième année de fac, j'ai choisi le droit privé et je me suis dit pourquoi pas embrasser la carrière d'avocat. La veuve et l'orphelin sont des notions qui résonnent bien au fond des valeurs que mon éducation m’a inculquées. Je suis d'origine flamande, là où l’on connaît la ligne droite et pas la ligne courbe pour résumer les choses. D'où la rectitude, l'équité et la justice qui me parlaient beaucoup ! J’ai donc sauté dans le train d’avocat-stagiaire.
A.-P. : A Paris ? Quand avez-vous prêté serment ?
A.G. : A l'époque - puisque j'ai eu vingt ans en 68 - se créaient les barreaux périphériques. J'ai commencé dans la profession en 1974 en Seine-Saint-Denis en tant que stagiaire. Puis, au bout d'un an et demi, j'en ai eu assez et j'ai ouvert mon propre cabinet à Noisy-le-Grand avec l’aide d’une consoeur qui m’a fourni des dossiers.
A.-P. : Dans quel domaine juridique ?
A.G. : J'ai pris tout ce qui venait à moi. Je n’ai pas eu de difficultés à travailler puisque j'avais envie de tirer fort sur les rames. Cette envie ne m'a d'ailleurs jamais quitté. Petit à petit, je me suis réorienté vers mon dada, les entreprises, pour faire du conseil en stratégie de développement et accompagner les PME/PMI vers leur destin.
A.-P. : Parce que vous avez une âme d’entrepreneur ?
A.G. : Je suis surtout très créatif. Je me pose beaucoup de questions, j’essaie de trouver des solutions. Je suis une sorte de bricoleur.
A.-P. : Qu’est-ce qui vous a plu dans cette profession ?
A.G. : On peut être créatif dans le domaine du droit. Ce n’est pas interdit. Si je ne plaide plus depuis longtemps, je me consacre entièrement à la protection et la valorisation du savoir-faire.
A.-P. : Pourquoi abandonner la plaidoirie ?
A.G. : Ma carrière m’a montré qu’un excellent dossier peut ne pas aboutir pour des raisons inadmissibles, que vous soyez pauvre ou puissant, etc. Continuer à faire du judiciaire ne me plaisait absolument pas. Avec la justice française, plaider est devenu une partie de roulette russe, avec une grande différence, c’est qu’il y a six cartouches dans le barillet. On ne sait vraiment pas où l’on va. Et qui est le tampon de tout ça, vis-à-vis de la clientèle légitimement mécontente ? L’avocat !
A.-P. : Quel fut le déclic de votre intérêt pour « votre dada », la protection des innovations ?
A.G. : J'ai eu un déclic lorsque j'ai rencontré mon maître, Maurice Vaucher. C'était un type remarquable et exceptionnel, consultant en transfert de technologies à côté de Lyon, qui m'a contaminé avec le virus du transfert du savoir-faire. J'ai alors accompagné des entreprises qui cherchaient à céder leur savoir-faire au profit d'autres.
Un jour, il m’a dit, avec sa grosse voix rocailleuse, quelque chose qui m’a frappé, que j’ai retenu et que j’applique : « Alain, pour l’innovation, il faut que tu raisonnes avec tes pieds ». C’était frappé au coin du bon sens car si on reste dans la théorie, on ne fait pas grand chose. J'ai alors suivi sa trace en devenant membre de l'Union nationale des spécialistes en transfert de technologies - l'Unatrantech - que j'ai suivie pendant quelques années pour ensuite abandonner cette casquette et continuer moi-même à faire de la cession de savoir-faire.
A.-P. : Qu’est-ce qui vous motive dans ce domaine ?
A.G. : Mon interrogation dans cette activité a toujours été que lorsqu'on négocie la valorisation d'une innovation ou d'un savoir-faire, on s'expose. On s'expose parce que, qui dit innovation, dit valorisation, dit divulgation. On divulgue tout pour qu'un partenaire accepte de signer un contrat et de payer un cash et des royalties. Donc vous vous retrouvez nu. La plupart du temps, dans les PME/PMI, qui sont très innovantes, on pense à tout sauf à se protéger, ce qui est très dangereux. Quand on arrive au bout d'une opération de R&D, on n’a plus de sous.
Comment protéger ces gens qui innovent dès le moment où leur création est disponible et où ils souhaitent en recueillir les fruits ? Comment peut-on être protégé en amont ? Ou lorsque l’on veut déposer une demande de brevet et qu’on ne veut pas être dépassé ?
A.-P. : La protection de l’innovation française vous paraît-elle satisfaisante ?
A.G. : La protection sacrosainte est le fameux brevet d'invention, qui n'est qu'un morceau d'emmental plein de trous, un parcours très difficile, long, coûteux et aléatoire. En France, 20 % des demandes de brevet sont rejetées chaque année. Que fait-on de ces innovations qui sont certainement pertinentes ? Il y a un vide juridique extrêmement dangereux.
A.-P. : Que reprochez-vous au système actuel ?
A.G. : Vous me direz, on peut se protéger par l’enveloppe Soleau de l’INPI (lnstitut national de la propriété industrielle). Or, les seuls qui aient fait fortune avec ce système sont son inventeur et l’INPI. Il s’agit d’un procédé répétitif, qui ne coûte pas cher et fait rentrer de l’argent, mais qui ne représente pas grand-chose en terme de protection. Le système permet à l’inventeur de mettre dans une double enveloppe la description de son invention. Les enveloppes sont alors scellées, rabattues l’une sur l’autre et passées sous un perforateur pour enregistrer l’année, le mois, le jour, l’heure et la minute à laquelle est déposée l’innovation. Une fois perforées, l’INPI en conserve une et vous renvoie l’autre. Le problème est qu’on omet de dire qu’il ne faut surtout pas ouvrir l’enveloppe qu’on vous renvoie sinon elle devient nulle puisque divulguée. Le grand écueil de ce système est qu’il n’y a pas de conseils en amont pour dire ce que l’on doit déposer dans cette enveloppe. Deuxièmement, on est censé avoir une date certaine d’enregistrement, mais elle est totalement contestable. Elle est reconnue en France, et encore. Allez déposer un brevet d’invention en Europe ou aux Etats-Unis en vous basant sur l’antériorité d’une enveloppe Soleau, je vous souhaite bien du plaisir ! Je connais déjà le résultat à l’avance : le rejet. Donc l’enveloppe Soleau est très imparfaite.
A.-P. : Que reste-t-il comme régime juridique de protection ?
A.G. : Rien. Parce qu’en dehors du brevet d’invention, des marques commerciales, dessins et modèles, qui sont la vitrine de l’INPI et ont des régimes bien spécifiques, il n’existe pas de régime juridique pour le dépôt d’une innovation par l’enveloppe Soleau, car elle est occulte. Le seul régime juridique envisageable est la protection par le droit d’auteur, donc par la divulgation.
A.-P. : Vous avez mis au point un procédé répondant à cette problématique, en quoi consiste-t-il ?
A.G. : J’ai conçu le KHP - « Know-How Protection » - qui est une façon de protéger une innovation par la propriété intellectuelle. Le procédé est basé sur le respect du droit d'auteur (ou copyright) qui présente l'intérêt de protéger toute oeuvre de l'esprit dans les 168 pays signataires de la convention de Berne, dès lors que les quatre conditions suivantes sont remplies : originalité et antériorité de l'oeuvre, revendication par l'auteur et surtout sa divulgation. Ça m’a pris trois ans pour étudier le système que j’envisageais, en suivant la doctrine et la jurisprudence, et mettre au point un document qui a pour but de protéger un concept.
A.-P. : Comment faites-vous en pratique ?
A.G. : J’aide le créateur à élaborer un document faisant la description exacte de son innovation, à la mettre au point, la valider et la signer comme étant effectivement sa propre création. Ensuite, je fais enregistrer ce document à l’enregistrement des impôts qui a une date certaine opposable à tous sur le plan légal, et enfin je le divulgue en le publiant sur le site internet KHP (www.knowhow-protection.com).
Ce système, s’il est relativement satisfaisant, protège surtout la forme et pas forcément le fond. Il y a donc des contestations envisageables sur la propriété intellectuelle. Mais surtout, l’obstacle le plus grand est celui de la divulgation. De fait, les PME importantes et les grands groupes cultivent le secret par principe. D’ailleurs, je comprends tout à fait ces réticences. Si après divulgation on retrouve son innovation sur le marché de la Papouasie inférieure – j’exagère mais c’est un peu ça- il est trop tard !
A.-P. : Que pensez-vous de la protection du secret des affaires en France ?
A.G. : J’étais à une conférence européenne sur l’instauration du secret d’affaires début juillet, à l’initiative de spécialistes de l’intelligence économique. Nous n’étions que 52 experts pour la France. Ce n’est tout de même pas beaucoup, c’est préoccupant, il faut absolument qu’on se muscle là-dessus !
A.-P. : Qu’est-ce qu’un secret d’affaires pour vous ?
A.G. : Raisonnons par analogie avec les entreprises du domaine de la parfumerie par exemple. Aujourd’hui, grâce au chromatographe électronique, on sait ce qui compose chaque parfum. C’est parfaitement identifiable, on connaît tout ce qu’il y a dans un Shalimar ou un Habit rouge. En revanche, ce qu’on ne sait pas, c’est dans quel ordre on mélange les composants, à quelle température, le temps d’attente d’une éventuelle réaction chimique, etc. Et ça - ce qu’on appelle dans cette industrie la « fiche de fabrication » - c’est le réel secret d’affaires.
A.-P. : Qu’est-ce que la proposition de loi relative à la protection du secret des affaires enregistrée à l’Assemblée nationale le 16 juillet dernier va changer en pratique dans votre domaine ?
A.G. : Cette proposition de loi, qui a fait hurler les journalistes et certains députés, a été très mal comprise. Pourtant, si elle prévoit la pénalisation de la violation du secret d’affaires par les entrepreneurs, elle n’est pas opposable aux journalistes en ce qui concerne la dénonciation des choses illégales.
Cette proposition de loi reviendra, soit directement à l’Assemblée, soit par effet boomerang avec la directive européenne sur le secret d’affaires qui est en cours d’élaboration. Utilisant ce tremplin qu’est le secret d’affaires, je me suis dit que mon système, qui a l’intérêt d’être basé sur la propriété intellectuelle et qui a une date certaine, est adaptable.
A.-P. : Comment ?
A.G. : En 2011, il y a eu la création de l’acte d’avocat. Le bâtonnier de Nice, Patrick Le Donne, en charge de la plateforme d’actes d’avocat électroniques, est d’ailleurs en cours de négociation avec Bercy pour que l’acte d’avocat puisse délivrer une date certaine, et non plus seulement une date certifiée. Le fisc, utilisant la plateforme, va alors admettre un paiement online qui équivaudra à un enregistrement. L’administration fiscale va donc reconnaître l’acte d‘avocat. Pour l’instant, j’élabore mon acte avec mon client, qui décrit la notion de son secret d’affaires. Je l’aide à le rédiger et l’élargir au maximum. Le document est signé par l’intéressé puis je le contresigne. J’engage alors ma responsabilité en tant que dispensateur de conseils juridiques. La boucle est bouclée parce qu’on a décrit le secret et on le conserve au secret ! La plateforme enregistre les actes d’avocat et garantit leur secret, restant uniquement accessibles aux intéressés et aux avocats qui ont contresignés, sur justification de l’utilité que l’on a d’avoir une copie de ce secret. Je garde avec ce système la nécessité à mon sens de le faire enregistrer aux impôts pour avoir une date certaine et de le faire conserver par la bonne foi.
A.-P. : Et si la proposition de loi n’est pas votée ?
A.G. : Et bien il y aura la directive européenne ! Celle-ci devrait venir au printemps selon mon confrère Bertrand Warusfel, un des plus grands spécialistes de la propriété intellectuelle et du brevet d’invention en France, qui fait partie de la commission à Luxembourg qui élabore cette directive.
A.-P. : Concrètement que proposez-vous à vos clients ?
A.G. : L’innovation est décrite, elle est protégée par le secret, on lui obtient une date certaine et on crée un droit. L’acte d’avocat est créateur de droit, c’est-à-dire que c’est un assimilé-titre. On pourra ainsi protéger le savoir-faire de l’entreprise en ayant la possibilité de l’inscrire en actif immatériel, donc en haut de bilan. Parce que l’administration fiscale admet qu’une entreprise valorise son savoir-faire si cela repose sur un titre ou un assimilé-titre, tel qu’un brevet d’invention, une marque commerciale, un dessin et modèle, et maintenant le savoir-faire. J’envisage de créer un site internet appelé « secret d’affaires » à travers lequel je proposerais mes services.
A.-P. : Quelle clientèle visez-vous ? Entrepreneurs ? Grandes entreprises ? Start-up ?
A.G. : Je propose aux chefs d’entreprise, aux innovateurs, aux grands groupes aussi, mes conseils sur la protection du savoir-faire, car cette problématique s’impose à tout porteur d’innovation. Par l’intermédiaire de mon référencement sur le site Meet&Start, je vais être un vecteur de réactivité des start-up sur leur protection le plus rapidement possible. Ce qui est très bien parce qu’on va dans le sens des choses ! De l’économie et du futur.
A.-P. : Vous prospectez ailleurs ?
A.G. : Je le fais petit à petit. La CGPME s’intéresse beaucoup à ce que je fais. J’ai aussi reçu des demandes de banques comme la Société générale ou le CIC qui sont extrêmement intéressées pour que je dispense des informations à leurs clients. Je vais certainement donner des conférences sur le plan interne réservées à des chefs d’entreprise. Je vais aussi rencontrer la BPI dans peu de temps. J’ai fait une conférence en juillet 2012 à Luxembourg sur la protection de l’innovation, et j’en donnerai une autre le 28 mai organisée par le réseau entrepreneurial du Grand Roissy.
A.-P. : Envisagez-vous de signer des partenariats, avec le CNB par exemple, pour votre projet de site « secret d’affaires » ?
A.G. : On verra ce qu’ils en disent. J’attends qu’ils manifestent leur intérêt sur ce que je fais. Je ne veux pas froisser qui que ce soit, ça serait stupide dans la stratégie de développement de « secret d’affaires ». Je ne veux pas non plus énerver l’INPI car ils n’ont pas fait preuve de créativité en la matière et qu’ils ont une puissance que je n’ai pas. Je préfère être partenaire avec eux, pourquoi pas ! Je ne veux surtout pas être considéré comme un concurrent de l’INPI, je suis un complément.
A.-P. : Ce que vous proposez paraît très profitable à l’économie hexagonale…
A.G. : Il vaut mieux anticiper en matière d’innovation que de se voir piller et de se dire « trop tard, je n’ai rien fait ! » Il y a un gros retard en France, en particulier dans les PME/PMI qui sont les plus porteuses d’innovation. Mon père spirituel en transfert de technologies disait que dans l’innovation aujourd’hui, il n’y a plus grand chose en matière de recherche fondamentale. De nos jours, ce sont plutôt deux techniques bien connues dans le domaine public que l’on associe et qu’on rapproche dans un but différent. C’est ça qui est le plus dynamique sur le plan économique, et qui est le plus sujet à ce danger de pillage.
A.-P. : Comment allez-vous faire pour que les créateurs sachent ce qui a été déposé par acte d’avocat ?
A.G. : C’est un faux problème. Même l’INPI précise que les recherches d’antériorité ne sont pas garanties exhaustives. C’est impossible de prouver l’antériorité de quelque chose sur le plan mondial. Cela viendra probablement, mais pour l’instant c’est trop volumineux.
A.-P. : Quelles ambitions avez-vous pour le site « secret d’affaires » ?
A.G. : Je ne veux pas créer par moi-même une multinationale, ce n’est pas ma vocation. Si je trouve un partenaire financier qui, une fois que la pertinence du système aura été perçue, veuille me racheter, pourquoi pas. J’ai encore assez de dossiers personnels d’innovation à développer ! Quand j’en aurai terminé avec la mise en place du site et son développement, j’aurai fait œuvre de création - de créativité plus exactement – dans le domaine du juridique, avec un impact et une utilité sur le plan économique. C’est tout ce qui m’importe.