Affiches Parisiennes : Après avoir été président de l'Ordre des experts comptables de l'Ile de France, vous êtes devenu l'un des fondateurs associés de Wingate. Pouvez-vous nous présenter votre activité au sein de cette entreprise ?
Stéphane Cohen : Oui, effectivement. Je suis l'un des deux associés fondateurs de Wingate, qui est une banque d'affaires, conseil financier des entreprises en difficulté, sous performance ou qui se trouvent dans des situations spéciales comme c'est le cas aujourd'hui. On aide ces entreprises à traverser des périodes de crise, comme on le voit aujourd'hui avec le coronavirus, en les aidant d'abord à piloter le cash et ensuite, de manière défensive, à réorganiser leur entreprise, pour la rendre plus agile et plus rentable.
On les aide aussi à financer leurs restructurations opérationnelles ou financières et à financer les mesures offensives, c'est-à-dire comment regagner du terrain, des clients et comment repartir à la conquête de leurs marchés. Tout cela passe, notamment, par des levées de fonds, des adossements industriels dans certains cas, donc par tous les dispositifs qui permettent à une entreprise qui se trouve dans une impasse de ne pas rester seule, puisque la grande difficulté de ces entreprises, c'est ce qu'on constate depuis dix ans maintenant que nous avons créé Wingate, c'est la solitude des chefs d'entreprise. Ils viennent trop tard solliciter des acteurs du retournement comme nous, et cachent les difficultés sous le tapis jusqu'à ce qu'il y en ait trop. C'est pour cela que l'on dit toujours de nous saisir le plus vite possible, que le dialogue est le plus important, tout comme les mesures d'anticipation.
En général, on dit que la guerre de la restructuration se gagne dans les cent premiers jours. Là, en l'occurrence, ça ne sera pas le cas pour le coronavirus. Ça devrait aller beaucoup plus vite. En tout cas, nous sommes des conseils de proximité des PME/PMI qui se trouvent en difficulté.
A.-P. : Wingate est donc une véritable banque d'affaires qui fait aussi des levées de fonds ?
S. C. : Tout à fait. Nous réalisons des levées de fonds et nous négocions avec l'ensemble des partenaires de l'entreprise, que ce soient les banquiers, les bailleurs, avec l'Etat aussi, évidemment, pour mettre en place des mesures qui permettent de gagner du temps et de gagner de l'énergie, pour pouvoir mieux opérer des opérations de levées de fonds. Mais, au delà d'être une banque d'affaires, au départ, notre métier est d'être un conseil financier de proximité très spécialisé dans les situations de stress.
A.-P. : Aujourd'hui, nous vivons une situation de stress important avec la crise du coronavirus. Les entreprises, surtout les PME, sont lourdement impactées pour certaines. Vous avez prévu un appui de conseils gratuits, pouvez-vous nous en parler ?
S. C. : Oui, tout à fait. Nous avons décidé, parce que nous sommes en télétravail, que nos réunions sont annulées et certaines de nos opérations aussi, de mettre l'ensemble de nos équipes gratuitement à disposition de toutes les PME/PMI, même celles que l'on ne connaît pas.
C'est pour ça qu'on a lancé une communication aussi grand public, pour se mettre à la disposition de ces entreprises, pour les aider à passer le cap. Nos équipes répondent aux demandes des entreprises sur plusieurs volets.
Le premier volet est le chômage partiel : on les aide à mettre en place les mesures de chômage partiel et ce n'est pas simple. On les aide à mettre en place une négociation avec leur banque en vue d'obtenir le gel des emprunts et le maintien, voire même l'augmentation, des découverts. Parce que, pendant la période que nous vivons, il est très important que les banques soutiennent l'économie, notamment celle des PME/PMI qui sont les plus fragilisées, dans certains secteurs qui sont encore plus fragilisés comme le retail.
Ensuite, on aide ces entreprises à négocier avec leur bailleur un gel des loyers, on les aide également à mettre en place le dispositif de soutien déployé par la Banque publique d'investissement (BPI). Je rappelle que ces mesures de soutien sont assez importantes parce qu'elles permettent à la fois de contre-garantir jusqu'à 90 % des découverts bancaires sur une durée de 12 à 18 mois, notamment pour les banquiers qui maintiendraient à partir de maintenant, leurs concours bancaires et même de les augmenter sur 12 à 18 mois. Il y a aussi une mesure qui permet de mettre en place un certain nombre de prêts, comme le prêt atout, qui peuvent aller de 50 000 € à 5 millions d'€ pour les PME, et jusqu'à 30 millions d'euros pour les ETI, ces prêts pouvant de manière exceptionnelle être financés soit seuls par BPI soit en cofinancement avec la banque de l'entreprise, qui sera garantie à hauteur 90 % par BPI.
Ces mesures sont très importantes. à partir de ce soir, je fais partie d'un groupe de travail au sein de BPI, avec la direction de BPI, pour dialoguer avec les Pouvoirs publics pour étendre encore ces mesures parce que nous avons besoin de l'État pour aider ces entreprises à passer le cap.
A.-P. : Les entreprises peuvent donc prendre contact avec vous ?
S. C. : Pour toutes ces mesures, il suffit de nous contacter par mail. Je redonne le mien : scohen@wingate.fr. Tout le monde peut me contacter et je passerai le relais aux 25 personnes de mon équipe, pour que les chefs d'entreprise ne se retrouvent pas seuls. Il y a des solutions pour tout le monde et on doit tous se serrer les coudes. C'est pour cela qu'on a créé ce dispositif gratuit, citoyen, pour que personne ne soit laissé pour compte.
Nous avons également dans notre réseau des avocats qui peuvent nous aider, en cas d'urgence, à saisir les tribunaux s'il fallait mettre en place des mesures judiciaires de prévention de type mandat de conciliation et nous sommes en relation avec l'intégralité des tribunaux de commerce, des présidents de tribunaux de commerce, le cas échéant si nous en avions besoin.
On a donc créé un dispositif dans le dispositif, qui est adapté aux PME/PMI et va les aider au sortir de cette crise, à re-simuler l'apurement des dettes que nous allons geler, puisqu'il s'agit aujourd'hui de geler des dettes. Certaines seront peut-être prises en charge par l'État, notamment les dettes fiscales et sociales, puisque les entreprises peuvent désormais geler les cotisations sociales, la part salariale et celle patronale, et puis les impôts même si la TVA n'en fait pas partie. Il semble en tout cas que les Pouvoirs publics sont contraints de revenir dessus pour que la TVA, notamment du mois de mars, soit prise en charge dans le gel de l'ensemble des impôts.
A.-P. : Arrivera ensuite le moment de la relance…
S. C. : Dans un deuxième temps, effectivement, nous les aiderons à apurer ces dettes, à réaliser des opérations de financement, voire même des opérations d'adossement industrielle mais pour l'instant, dans l'heure l'important est ce qu'on appelle chez Wingate le cash management, Le principe d'avoir un décaissement approximatif proche de zéro. Et un sujet sur lequel je souhaite attirer l'attention des pouvoirs publics, c'est notamment les mesures de chômage partiel. Je rappelle effectivement qu'il faut s'inscrire sur le site du chômage partiel, que le site enregistre la demande dans les 48 heures et les entreprises vont devoir déclarer à la fin du mois de mars le nombre d'heures en chômage partiel et indemniser les salariés pour se faire rembourser entre 12 et 15 jours si tout va bien. Le problème, c'est que c'est arrivé brutalement et que le site est saturé. Est-ce que les entreprises seront remboursées dans les 12 à 15 jours ? Il est probable que la saturation des services publics prolonge ces délais et que certaines entreprises qui n'ont plus de recettes depuis le samedi 14, certaines depuis le vendredi 13, ne pourront pas payer leurs salariés le 31 du mois.
J'alerte les Pouvoirs publics car il faut absolument mettre en place un dispositif comme celui du CICE où les banques qui accepteront de payer les salaires en augmentant le découvert pourront être à la fois garanties par BPI, et ça de manière instantanée, et mieux que ça puisque l'entreprise disposera d'une créance sur l'Etat au titre de ce préfinancement du chômage partiel. Nous souhaitons que les entreprises puissent mobiliser cette créance sur l'Etat, auprès de BPI ou auprès de leurs banques, comme on l'a vu à l'époque du CICE. C'est une mesure très importante car si dans treize jours, nous n'avons pas trouvé de solution, beaucoup d'entreprises mettront la clé sous la porte parce qu'elles ne pourront pas payer leurs salaires ou alors, pire que ça, parce qu'elles ne paieront pas leurs salariés.
A.-P. : Le plus important, c'est de préserver la trésorerie des entreprises
S. C. : Oui parce qu'on ne sait pas quand ça va redémarrer, on est avec une grande inconnue. C'est la première fois dans l'histoire de monde qu'on vit une telle atrocité, on ne sait pas si les commerces réouvriront, si les restaurants seront ouverts. Dans quinze jours je n'y crois pas, dans un mois c'est peu probable, peut-être dans deux mois. Et puis après, soit nous assisterons à un « boom » comme on a pu le voir dans certaines situations dans le monde post-guerre, soit nous assisterons à une crise longue parce qu'il n'y aura plus de consommateurs pour consommer. C'est un vrai sujet. Je rappelle que les mesures de chômage partiel permettent de toucher uniquement 70 % du brut quand d'habitude, les salariés perçoivent en moyenne 80 % de leur brut. Donc il y a forcément un manque à gagner pour les salariés aussi et donc, on pourrait assister, quelque part, à une montée en puissance progressive, ce qui veut dire que oui, il faut préserver la trésorerie. J'invite toutes les entreprises aussi à considérer une montée en puissance relativement lente et qu'elles fassent cet exercice. Si le contraire apparaît, ce sera tant mieux mais qu'elles fassent cet exercice pour simuler les besoins financiers de leur entreprise sur une période de seize semaines, huit semaines de confinement économique et huit de reprise en douceur.
A.-P. : Qu'en est-il des entreprises qui ont des crédits à payer ?
S. C. : C'est très simple, pour avoir fait le test sur plusieurs entreprises, les banques réagissent très, très, très positivement à ce qu'on appelle le gel des emprunts. Elles doivent simplement écrire un mail à leur banque, écrire à leur chargé d'affaires que l'entreprise demande le gel de l'ensemble des crédits et des échéances mensuelles des crédits. Elles demanderont, à l'issue de cette période de gel qui peut durer trois ou six mois, un rallongement de la durée des emprunts. Donc non pas un rattrapage sur une courte durée de ce gel mais un rallongement de la durée des emprunts. Il est très important que les entreprises ne paient plus leur emprunt dans cette période. En temps normal, quand les entreprises en difficulté demandent un gel sur la part en capital et elles doivent payer des intérêts mais là, l'ensemble des réseaux bancaires se sont organisés pour accepter que les entreprises ne paient pas à la fois la part en capital et les intérêts des emprunts, c'est-à-dire l'intégralité des échéances des prêts.
Pour les découverts, certaines banques demandent les bilans 2019. Nous sommes à la mi-mars, de nombreuses entreprises, notamment les PME et les TPE ont pu obtenir leur bilan de la part de leur expert-comptable mais pour certaines, pas encore. Il y a donc lieu de demander que les banques acceptent, sur la base notamment du bilan 2018, de jouer le jeu, en tout cas pour l'instant. Pour l'instant, elles le jouent vraiment le jeu sur le gel des échéances de prêts et sur le maintien des découverts. Et si vraiment certaines banques ne jouent pas le jeu, nous appliquerons nos mesures préventives qui nous permettent d'imposer aux banques ce gel. Mais je ne crois pas que l'on en arrivera là, l'effort de solidarité est fort !
Il en va de même pour les loyers des bailleurs. Je demande aux entreprises, pour l'instant, d'écrire à leur bailleur et de demander un gel du loyer trimestriel à échoir puis, en fonction de la montée en puissance, un apurement sur une période plus ou moins longue ou courte, selon le redémarrage de l'entreprise.
A.-P. : N'est-ce pas un peu délicat pour les bailleurs qui ne vivent que de leurs loyers ?
S. C. : Oui mais c'est malheureusement toute une chaîne. A eux aussi de mettre en place des mesures chez eux, pour éviter effectivement de tendre vers un décaissement zéro. Le principe étant encaissement zéro égal à décaissement zéro, d'adapter le décaissement à l'encaissement et quand on a plus d'encaissement, les bailleurs, dont certains qui ont des emprunts, demandent à leur banque un gel en capital et intérêts, de sorte qu'ils ne se retrouvent pas dans une situation où ils doivent rembourser leur banquier au titre des emprunts liés à ces biens immobiliers qu'ils mettent sur le marché en tant que bailleur.
Pareil pour les crédits bailleurs qui acceptent aussi à surseoir aux encaissements et prélèvement des échéances de crédit-bail. C'est une guerre qu'il faut mener vite, un exercice à faire pour lequel on sait comment coacher les entreprises quand elles nous appellent. Il suffit de regarder tout ce qui sort de l'entreprise et d'opérer ligne par ligne, une mesure de gel.
A.-P. : La BPI a également lancé un plan de soutien d'urgence aux entreprises. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
S. C. : La BPI a toujours joué le jeu dans ces moments très complexes, depuis la crise de 2008, l'a rejoué à l'occasion des attentats de 2015 et de la crise des gilets jaunes. C'est le bras armé financier de l'Etat français de soutien aux entreprises. Elle a donc mis en place un dispositif musclé, dans le cadre de ses deux métiers de financement qui sont la contre-garantie, c'est-à-dire qu'elle donne des garanties sur les emprunts accordés aux entreprises et de co-financement auprès des banquiers.
Parmi les mesures mises en place par BPI, elle garantit la banque à hauteur de 90 % si elle fait un nouveau prêt de trois ans à sept ans, BPI garantit aussi à hauteur de 90 % le découvert de la banque si cette dernière le confirme sur une période de 12 à 18 mois, et elle propose ensuite un prêt sans garantie sur trois à cinq ans de 10 millions à 10 millions d'euros pour les PME et de plusieurs dizaines de millions d'euros pour les ETI, avec un différé important de remboursement qui peut aller jusqu'à deux ans.
BPI a aussi un rôle de factor, pour mobiliser les créances clients sur les factures qui ont été émises, c'est-à-dire racheter ces factures et payer l'entreprise à la place du client qui n'a pas les moyens de payer et également en ajoutant une réserve de trésorerie supplémentaire de
30 % du volume mobilisé. Ensuite, pour les prêts qu'elle a consenti, BPI accepte de suspendre le paiement des échéances. Il s'agit donc d'un dispositif assez complet. Il y a un numéro vert chez BPI, le 09 69 37 02 40, gratuit et qui permet de le joindre partout sur le territoire français ou alors en contactant les délégations régionales disponibles sur le site www.bpifrance.fr
A.-P. : Est-ce que vous êtes confiant dans le relèvement de l'économie ?
S. C. : Je suis plus confiant parce que quand on voit comment nos entreprises ont déjà résisté à la crise des gilets jaunes et aux manifestations sur la réforme des retraites, on a vu déjà un rebond et on a pu constater, dans nos réseaux de magasins, notamment de prêt à porter de plus de 500 magasins, pour les mois de janvier et de février, une forte croissance, parfois à deux chiffres. L'économie était repartie.
Je pense que nous vivons une maladie momentanée et, comme pour tous ceux qui ont connu la maladie, il y a une période de frustrations, pendant la période d'incubation et pendant le traitement de la maladie. Et puis après, à l'inverse, il y a une envie de revivre, de reconsommer. J'ai vraiment confiance dans le futur et surtout dans cette sortie de crise terrible, de cette maladie. Il faut que toute la chaîne et tout ce dispositif se mette en œuvre dans les 13 prochains jours pour que les salariés ne soient pas impactés, que les entreprises ne fassent pas faillites et qu'elles restent en vie. Plus on maintiendra l'entreprise et l'emploi, plus les gens vont repartir. Je pense qu'à partir du second semestre de l'année devrait permettre de rattraper le premier semestre de cette année avec, malgré tout, deux premiers mois qui ont été très bons.
Il y a beaucoup d'argent dans l'économie, dans les fonds d'investissement. Il y a beaucoup d'argent, même dans les entreprises qui ont accumulé du cash. Les banques prêtent à nouveau, malgré ce choc dans l'économie mondiale, il faut avoir confiance dans l'avenir, ne pas se laisser enfermer dans une spirale négative. Une fois que nous serons tous en vie, sortons et fêtons ça dignement, retournons dans les commerces et les restaurants et reconsommons parce que c'est aussi un enjeu de société, celui de participer au rebond de l'économie. n